Mon fils

IMG_7723-

Crédit photo : Virginie Chaloux

 

Il y a un an aujourd’hui, j’apprenais ta présence. J’allais à ta rencontre les yeux fermés, ne sachant pas si j’allais foncer dans le mur qui se trouvait devant moi, aveuglée par tout ce que cette nouvelle pouvait produire de beau et de moins beau. J’étais là, dans mon incertitude, mes contradictions, mon énervement, mes « je sais pas » répétés en boucle à voix basse et à voix moins basse.

J’étais là, assise et seule, mais tellement remplie en même temps; pleine de toi qui grandissais déjà en moi. Mes mains passaient de mon cœur à mon ventre avec l’assurance de celles qui connaissaient déjà le chemin. J’aimerais dire que j’ai su à ce moment que je serais mère, mais je n’ai pas su; j’ai simplement su que tu étais là.

Durant ce temps, certaines de mes amies se mariaient, d’autres tentaient désespérément d’avoir un enfant. Moi, je n’avais rien de tout ça et j’étais bien ainsi. La vérité, c’est que ça n’a pas été clair. C’est que j’ai ouvert Google pour trouver une clinique. C’est que j’ai composé des numéros de téléphone pour fixer un rendez-vous que je n’ai jamais été capable de prendre. C’est que je faisais des cauchemars la nuit.

J’ai longtemps repoussé l’idée de mère, le concept de mère, la structure de mère et tout ce qui charpente cette maison. J’avais peur que ça prenne trop de place, que ça prenne toute la place. Comment être une maison pour quelqu’un alors qu’on ne s’habite pas soi-même?

Puis est arrivé le matin où j’ai su. Où j’ai su que tu allais vivre. Oui, toi, tu vivrais comme le point que l’on met à la fin d’une phrase : comme une évidence. J’étais soudainement prête à tout, mais surtout à toi.

Le jour de mon anniversaire, j’ai appris que je t’appellerais « Mon fils ». Un peu plus tard, nous avons décidé que tu t’appellerais Auguste. « Mon fils », ces deux mots faisant tellement sens lorsqu’on les comprend, lorsqu’on les vit. J’ai alors compris ce qui m’attendait, je serais ta mère, ta maman. Je le savais, évidemment, mais il y a une différence entre savoir quelque chose et comprendre quelque chose.

Ton père et moi avions peur pour notre liberté. Pour nos soirées passées à en « profiter » un peu trop. Pour les journées où on se levait à midi. Pour le temps où on ne pouvait penser qu’à nous. C’est vrai qu’on se réveille à 8:00 maintenant. Mais ça nous permet d’aller courir. De jouer avec toi. D’aller déjeuner en famille et d’avoir le temps d’étudier, d’aller marcher, de lire et d’écrire. Aujourd’hui, je me réveille au son de ton rire dans le soleil du matin au lieu de me réveiller le coeur au bord des lèvres.

Lorsque je regarde les gens de mon âge, il m’arrive de me questionner. Nous sommes dans la jeune vingtaine. Ne devrait-on pas plutôt sortir, voyager, rencontrer de nouvelles personnes, s’y lier, puis rompre, rencontrer à nouveau, ne pas avoir de responsabilités? Je me suis souvent fait avoir par les visages effrayés qui nous disaient « Hein? Un enfant? Déjà? Vous n’êtes pas un peu jeunes? Vous n’avez pas peur de le regretter? »

La vérité est qu’on ne regrette rien. Je nous regarde. Les trois. Nous sommes un clan. On se tient. Toujours. On se sert dans nos bras, on s’aime. 

Aujourd’hui, tu es là. Je te regarde grandir comme un horizon infini de couleurs se levant et se couchant sur chaque jour de ma vie. Comme dirait le renard dans le Petit Prince, nous sommes devenus responsables de toi pour toujours en t’apprivoisant. Tu es mon amour guérilla, mon amour comète, celui qui a tué l’angoisse qui se tapissait au fond des tranchées.

Tu es là, comme ce qui va de soi. Tu es le quotidien autour duquel on s’organise; l’endroit où l’on trouve tout l’amour du monde. 

Tu es là, avec ta vérité foudroyante et brusque. Avec ton rire doux comme une tornade d’oasis en plein désert. Avec tes mains qui voyagent plus loin que toi. Tu es là, avec ton corps qui grandit plus rapidement que ton âge, avec ta voix qui embrasse tous les murs de notre appartement. Tu es là, comme si tu n’avais jamais été ailleurs.

Oui, tu es là. Et je t’aime.

Faire un enfant


69efbf06a47fe8cc566801730c27d661

On ne m’avait jamais dit comment on faisait un enfant. Je ne parle pas des mouvements de corps mutuellement bien reçus entre deux personnes. Non. Je parle de « faire » un enfant, le fabriquer, avec les bonnes pièces. Parfois on est tellement pressé qu’on est déconcentré, qu’on oublie des morceaux. D’autres fois on est tellement épuisé qu’on se demande comment on peut se partager, comment on peut se diviser, pour donner à ce petit être en formation les meilleures parts de nous. On ne m’avait jamais dit qu’on ne se divisait pas, mais qu’on se multipliait.

On ne m’avait jamais dit que ce serait si naturel. Que ça allait se placer comme une évidence au cœur de la personne qu’on était avant, de celle qu’on est maintenant et de celle qu’on sera demain. On ne m’avait jamais dit qu’on pouvait passer de longues minutes planté dans le cadre de porte d’une chambre vide mais déjà si remplie; qu’on pouvait observer les moindres détails pour s’assurer que tout soit à sa place. Qu’on plierait et déplierait des vêtements, des couvertures. Qu’on sentirait des petits pots de crème. Qu’on passerait notre main sur un matelas inhabité, qu’on vérifierait l’isolation des fenêtres. T’sé, ce serait plate qu’il ait froid.

Qu’on dormirait avec un de ses pyjamas lové au creux de nos bras, qu’on ferait semblant de se bercer, de le prendre ou de le déposer dans un porte-bébé. Qu’on lirait les étiquettes derrière les produits qu’on achète, qu’on ferait des provisions.

On ne m’avait pas dit à quel point il était fascinant  que deux humains aient la capacité de fabriquer un autre humain. Comme ça. Sans formulaire à remplir, sans test à passer. Sans doctorat. 

On ne m’avait jamais dit qu’on pouvait tout donner à quelqu’un qui n’était pas encore arrivé, à quelqu’un qu’on n’avait pas encore rencontré. On ne m’avait pas dit qu’on pouvait souhaiter le meilleur, le plus grand et le plus beau pour un être qu’on ne connaissait pas. On ne m’avait jamais dit que ne plus se faire passer en premier ne voulait pas dire se faire passer en dernier. Qu’on pouvait conjuguer les deux sans trop de difficulté.

On ne m’avait jamais expliqué ce que voulait réellement dire vivre ensemble. Parce que ça ne s’explique pas. Parce que s’habiter soi-même et être habité par quelqu’un d’autre durant neuf mois est à mille lieux d’habiter avec quelqu’un qui nous est extérieur. On ne peut fuir son corps en claquant la porte, on ne peut fuir son corps au restaurant après une mauvaise journée, on ne peut ni argumenter ni s’engeuler avec son corps. Il est toujours là. Il nous suit partout, en étant plus lucide que jamais.

On ne m’avait pas dit qu’on avait le droit d’avoir peur, qu’on avait le droit de se demander si on était fait pour ça. On ne m’avait pas dit que personne n’était « fait » ou non, pour ça. Que chaque personne apprivoisait la vie différemment. Qu’elle était parfois reçue à coups de points d’exclamation et d’autres fois par des points d’interrogation, voire de suspension. Et que c’était correct. On ne m’avait jamais dit qu’il n’y avait pas vraiment de bon moment pour ça. Qu’on n’était jamais prêt, qu’on était toujours prêt.

On ne m’avait jamais dit qu’on ne devenait pas matante ou mon ‘oncle sous prétexte qu’on était heureux d’avoir des meubles à notre goût ou encore parce qu’on achetait maintenant des couches en même temps que notre papier de toilette. On ne m’avait pas dit que ça pouvait se coller viscéralement au quotidien sans que l’on perde de vue nos rêves et nos objectifs personnels. Que ça n’enlevait rien à ceux que nous étions avant, qu’au contraire ça leur apportait beaucoup.

On ne m’avait jamais dit que ce serait à quelqu’un d’autre que je penserais en traversant la rue. Que ce ne serait plus ma bulle qui serait heurtée lorsqu’on m’accrocherait dans le métro. Que je ressentirais de l’agressivité envers ceux qui ne font pas attention. Que j’aurais le sacre et le Heille! faciles. Pas pour moi, pour lui. On ne m’avait pas dit que s’il m’arrivait un accident, je souhaiterais qu’on sauve mon bébé en priorité.

On ne m’avait surtout pas dit que ça pouvait être aussi fort que ça.

[Crédit photo : Bady Qb]

L’obsession de se faire passer en premier

3127274753_2_3_ldk1Fkby

Se faire passer en premier est le leitmotiv en vogue sur tous les blogues ces derniers mois, voire ces dernières années.

Tu ne te sens pas trop bien? On te demandera si tu te fais passer en premier. Tu as envie de te caser? On te demandera si tu t’es assez fait passer en premier avant de t’engager. T’as peur de t’engager? On te dira que ce n’est pas grave, que le plus important est que tu tiennes les engagements que tu as pris envers toi-même. T’as de la peine à cause d’un gars? On va minimiser ta tristesse en te disant qu’il n’est pas important, que tu es la seule personne qui compte. Tu vis une rupture? Encore là on va la minimiser en te disant que tu es la seule personne avec laquelle tu vivras toute ta vie et que c’est là-dessus que tu dois focaliser.

Faire des sacrifices pour quelqu’un? Ark, non. Ça ne fonctionne plus comme ça. Faire des compromis non plus. On cherche celui ou celle avec qui tout va s’emboîter parfaitement. Celui ou celle qui serait prêt à partir en voyage au Laos durant trois mois demain matin si nous étions prêts à y aller demain matin. T’es pas assez wild et t’as envie de compléter ta maîtrise avant? Bof. Moi je suis ailleurs. Moi je suis libre. Moi je m’écoute et j’écoute tout ce que mes envies me disent. (Notez la récurrence du moi.) Tant pis pour toi si tu n’es pas prêt à me suivre, parce que moi, il est hors de question que je t’attende. On a juste une vie à vivre. Yolo, comme diraient certains.

Plus besoin de s’améliorer non plus. Nos parents nous ont toujours dit que nous étions les humains les plus parfaits de la planète terre et même de l’univers. Même lorsqu’on a tort, on a raison. Plutôt que de travailler sur nous, on préfère se faire croire qu’on n’est juste pas avec la bonne personne; que la bonne personne va nous accepter au complet sans qu’on ait à améliorer quoi que ce soit. L’autre doit parfaitement accepter notre imperfection sans que ce soit réciproque.

kkkk

On se réveille le matin, on ouvre notre page Facebook et on voit que notre amie du secondaire s’est fiancée. Au lieu de trouver ça beau, on fronce les sourcils en trouvant presque archaïque que des gens de «notre âge» se marient ou aient des enfants. T’sé, ce n’est tellement pas ça la vie. On se plait même à croire, souvent à tort, que les gens qui s’engagent sont condamnés à vivre une vie plate, prévisible et tracée à l’avance. Une vie qui se déroulerait dans un bungalow derrière Les galeries de Terrebonne avec un chien et pour seules vacances une semaine à Cuba deux fois par année. Nous, on est ailleurs. On veut s’engager mais la liste de «mais» se déroule jusqu’au plancher chaque fois qu’on rencontre quelqu’un.

11828736_10207520194585538_9221532080689019529_n

Nous sommes constamment bombardées d’images laissant sous-entendre que les vraies femmes de tête n’en laissent pas passer une. Inconsciemment, on tend de plus en plus vers cette image. « Virginie, 23. Entrepreneur. I don’t make excuses. I make results. » Il faut être dans l’ère du temps; le temps où nous n’avons du temps que pour notre personne et notre épanouissement. Il faut se faire passer en premier en tout temps.

On a aussi perdu à l’art de pardonner. Il t’a fait chier? Quitte-le. Tu n’as pas à endurer ça. Il a commis une erreur? Laisse-le aussi, car tu n’as pas non plus à vivre avec ça. Ne reste surtout pas pour essayer de comprendre ce qui s’est passé; pour essayer de travailler avec lui en équipe afin que ça ne se reproduise pas. On a presque peur que pardonner rime avec faiblesse.

Il se sent moins bien depuis quelques jours? Sois exaspérée. Tu n’as pas à te faire passer en deuxième et écouter ses problèmes. Après tout, tu as aussi les tiens et ils sont aussi importants que les siens, non? Toutes tes amies te le diront autour du martini fancy à 12$ que vous êtes en train de boire. Balaie tout ce que vous aviez du revers de la main et arrange-toi pour trouver quelqu’un de parfait.

Au fond, ne tombe jamais en amour avec un autre être humain; tombe en amour avec un robot que tu pourras programmer. Parce que deux personnes se faisant toujours passer en premier, ça se pile dessus. Ça se fonce dedans. Parfois, pour pouvoir avancer, il faut laisser l’autre passer devant et accepter d’être en arrière pour quelques pas.

Suis-je digne d’être mère?

Crédit photo : Virginie Chaloux

Je me suis souvent posé cette question en entendant des histoires dans lesquelles les mères avaient dû travailler fort pour le devenir. Des mamans qui avaient été malades, des mamans qui s’étaient battues, des mamans et des couples qui avaient dû passer par une panoplie de tests, des parents qui avaient dû attendre. Des gens à qui on avait dit : «Désolé, mais ce ne sera pas facile. Désolé, mais ce ne sera pas possible.» Des humains qui avaient passé des années en clinique de fertilité avant de se faire dire «Oui». Des gens qui avaient tellement voulu.

Nous n’avions pas «tellement voulu». Les deux lignes roses sur le test de grossesse avaient plus fait l’effet d’un «Ah, ok». Rien d’excitant, rien d’émouvant. Je me souviens comme si c’était hier du moment où, assise sur le bord du bain, j’avais appris que la vie était en train de se développer à coups de milliards de cellules au creux de mon ventre. Il n’y avait pas eu de confettis, pas de ballons, pas de cris de joie. Le calme plat. Un calme quasi stérile généré par un flot d’émotions trop contradictoires pour que ce soit réel.

«Ainsi c’est maintenant» est la seule chose que mon cerveau répétait en boucle. Pas de larmes. Pas de sourires. Juste des «Ainsi c’est maintenant». On nous prépare tellement à cet événement toute notre vie qu’il est ridicule de voir à quel point nous ne sommes jamais préparés, au fond. Je me sentais mal, tellement mal. J’aurais aimé ressentir l’amour inconditionnel tout de suite. Le fameux lien indestructible. Ça y était, je serais une mauvaise mère.

Ensuite, j’ai eu peur. Le hic, c’est que je n’ai pas eu peur pour des raisons nobles. Je n’ai pas eu peur de ne pas être capable — je savais que je serais capable. Je n’ai pas douté de mes capacités. Je n’ai pas eu peur pour mon avenir. J’ai eu peur pour des conneries. «Vais-je devenir exécrable? Va-t-on faire l’amour aussi souvent? Et si je prenais trop de poids? Et si je ne pouvais plus m’entraîner? Et si je devenais étrangère à moi-même? Et si je me trouvais laide?»

Encore une fois, je me demandais si j’étais digne de porter le titre de maman. J’avais l’impression que toutes les mères autour de moi embrassaient les changements imposés à leur corps avec sérénité, joie et bonheur. Que s’il y avait des problèmes, ils n’étaient jamais graves, car la finalité de la chose était immense : donner la vie. Je n’étais même pas enceinte de trois mois que je préparais déjà mon post accouchement et ce, même si j’aimais être enceinte.

Je me suis à nouveau demandé si j’étais digne d’être maman lorsque j’ai réalisé que mon enfant n’occupait pas toutes mes pensées. Lorsque j’ai réalisé que l’amoureux et moi n’en parlions pas tous les jours. Que nous avions encore des projets et que ces projets nous semblaient aussi grands que notre fils. Parce que si fabriquer un humain nous avait toujours semblé spécial et très grand, nous n’avions jamais eu l’impression que c’était «LA» chose la plus formidable au monde. Cet être viendrait se greffer à nous pour toujours et nous grandirions ensemble. Mais nous voulions aussi faire ceci et cela, indépendamment de notre fils. Nous souhaitions nous développer individuellement. Serions-nous de mauvais parents à cause de ça?

Lorsque j’ai dit aux gens que je poursuivais mes cours à l’université cet automne ET cet hiver, on m’a regardée comme «ça». Parce que non, je n’aurais pas de congé de maternité. J’aurais trois semaines à temps plein avec mon loup tout au plus. J’en ai entendu, des «Ben là». Comme si quitter son nid douze heures par semaine pour aller étudier était un crime. Comme si le père serait forcément inadéquat dans son rôle de père durant ces douze heures-là. Comme si le bébé n’avait besoin que de sa mère, 24|7. Je ne peux compter le nombre de fois où j’ai dû justifier mon droit d’étudier. Dans les mots des gens, j’avais quasiment l’impression que le laisser avec son père équivaudrait à le laisser coin Ontario et Moreau avec le pimp du coin. #mereingrate

Pourtant, j’étais entrée à la garderie à l’âge de six mois. Dans le temps, mon père vivait à Québec et ma mère à Montréal. Elle y restait pour le travail et revenait la fin de semaine pour nous voir. Je n’ai jamais manqué de rien. 

Nous avons eu droit au mêmes commentaires lorsque nous avons dit aux gens que nous ferions garder Fils par ma mère un weekend par mois pour prendre du temps pour nous (merci maman). «Ish. Faire garder un enfant en bas de six mois? Ish.» On se demandait quasiment si on était arriéré de vouloir passer du temps ensemble, juste nous deux. Encore une fois se posait la même question : étions-nous dignes d’être parents?

Puis, j’ai réalisé des choses. J’ai réalisé qu’on nous vendait l’idée d’être parent. Qu’on nous bombardait de clichés dans lesquels les nuages se transformaient en barbe à papa lorsqu’on apprenait qu’on allait être parent. Que c’était «OMG» la plus belle chose du monde, sans contredit. Que tout prenait le bord. Que le couple devenait une famille, exclusivement. Que la femme et l’homme devenaient des parents, exclusivement. Qu’on réalisait alors qu’on n’avait rien connu, avant. Que fabriquer de l’humain devait être la plus grande réalisation de toute une vie.

Et cette idée-là, celle qu’on essaie de nous vendre, je ne l’ai pas achetée. Nous ne l’avons pas achetée.

Pas parce qu’on en n’avait pas envie, juste parce qu’on avait envie d’acheter une idée qui nous correspondait mieux. J’ai aussi réalisé que la plupart de mes peurs connes ne s’étaient pas réalisées. J’étais encore moi-même. Je m’entraînais encore. J’étais encore de bonne humeur. Ma vie sexuelle allait encore très bien. J’étais encore bien dans ma peau. Je pouvais encore me coucher tard, parler avec mon amoureux jusqu’à 4:00 du matin, aller voir un spectacle et aller dans les festivals. Et je trouve ça important de le mentionner, car on s’attend souvent au pire. C’est ce qu’on nous dit, c’est ce qu’on nous vend là aussi. Mais une grossesse ne rime pas toujours avec neuf mois d’enfer. Ça peut bien aller. Ça peut super bien aller. Ayons confiance.

(Je tiens à préciser que je fais tout de même de l’anémie, que ma glande thyroïde joue au yoyo, que je fais de l’hypoglycémie, que je me suis déjà évanouie au milieu de mon appartement et me suis ramassée trois fois à l’urgence. Malgré tout ça, ça va super bien, sans farce!)

J’ai réalisé que je serais une très bonne maman, que nous serions de très bons parents. Car déjà, nous attentions son arrivée avec impatience. Déjà, il faisait partie de nos plans. Déjà, nous voulions le protéger. Déjà, nous lui parlions en lui disant «Je t’aime tellement». Et avoir la certitude d’aimer tellement quelqu’un sans l’avoir vu, c’est être digne d’être parent.

Le soir où tu as voulu que je te quitte

11193335_1762612710631828_6964013490777575300_n

On a toujours été bien tous les deux. Même si nous sommes deux bizarres, que nous nous appelons par notre prénom et que nous ne répondons pas toujours «Moi aussi» après un «Je t’aime» (ça peut être un «D’accord», un «Merci» ou un «C’est gentil que tu m’aimes»). Nous n’avons jamais douté de nous. Il y avait toi et moi, puis il y avait le reste du monde. Il y avait nous, qui pitonnions sur les boutons de la Vérité et de l’Honnêteté en lettres majuscules, puis il y avait le reste de la planète.

Puis un soir, tu n’as plus été sûr. Pas parce que tu ne m’aimais plus, pas parce que tu m’aimais moins. Pour m’aimer, tu m’aimais; tu m’aimes. Comme à peu près personne auparavant. Le hic, c’est que t’as réalisé que tu t’aimais un peu moins; pas depuis que nous étions ensemble, depuis tout le temps. Tu avais juste flanqué ces idées noires-là sous le tapis pour ne pas qu’on les voie. Sans qu’on s’y attende, les idées se sont soulevées et nous avons trébuché.

La semaine dernière et quelques fois avant, les fantômes sont revenus te hanter comme des pas gentils. Tu me regardais avec des yeux que je ne connaissais pas et tu me parlais avec des mots que je ne comprenais pas.

Tu n’étais plus bien; pas avec moi, avec toi. Et tu voulais que je parte parce que tu te sentais mal de m’infliger ça, parce que tu ne savais pas quoi faire. Il n’y a pas toujours d’explications pour les bobos. Parfois tout va bien, mais rien ne va. C’est comme ça. J’aurais pu t’écouter. J’y ai pensé. Ça aurait été facile sur le coup. J’aurais pu faire ce que j’ai toujours fait avant : fuir. Partir. Abandonner. Comme dirait l’autre, je n’ai pas été la dernière à piger dans le sac à faces et je pense avoir une âme pas pire aussi.

J’aurais pu me faire croire que je valais mieux que ça, que je ne serais jamais seule de toute façon. Mais le fait est que j’en n’avais pas envie. Que t’étais ce dont j’avais envie, que tu le veules ou non.

Si t’avais été quelqu’un d’autre je serais déjà loin devant. Un peu comme toi ces derniers temps. Toi, loin devant moi, affichant toujours un visage surpris en constatant que je réussissais à te rattraper, que j’étais encore et toujours là. Si t’avais été moins «toi» je t’aurais lancé au bout du monde avec toute la violence du monde pour que tu t’écrases.

Mais t’es toi; t’es pas quelqu’un d’autre. Tu m’as demandé ce que je faisais encore là, pourquoi j’étais encore là. Parce que tu n’acceptais pas que pour une fois, quelqu’un puisse t’aimer sans compromis, sans cachettes. Tu n’acceptais pas que quelqu’un pardonne tes erreurs en riant au lieu de pleurer. Tu n’acceptais pas que quelqu’un puisse t’aimer malgré. 

Tu n’acceptais pas que je puisse être là, à t’aimer toi alors que tu n’étais même pas certain de t’aimer toi-même. Ce n’était pas du sadomasochisme de ma part, mais je m’étais toujours dit que lorsque j’allais rencontrer celui qu’il me fallait, je n’allais pas partir. Je ne crois pas les gens qui disent que l’amour n’existe plus, aujourd’hui. Les gens ne se laissent pas à la moindre difficulté même s’ils s’aiment, ils se laissent à la moindre difficulté parce qu’ils ne s’aiment pas. Parce qu’ailleurs leur semble meilleur; pour moi rien ne semble meilleur que nous.

C’est facile d’aimer quelqu’un quand ça va bien, quand l’autre à tout et que t’as rien. C’est comme aimer quelqu’un pour ses qualités. Tout le monde peut t’aimer pour tes bons côtés, mais c’est loin d’être tout le monde qui est prêt à vivre avec les côtés laids; avec les situations laides.

Alors je veux juste te dire une chose : j’irai nulle part. Oublie ça. Tant qu’on va s’aimer comme on le fait je vais rester là, entre les murs de notre appartement et de notre vie. On n’abandonne pas ceux qu’on aime.

Le soir où j’ai désactivé Facebook

Capture d’écran 2015-06-10 à 13.37.34

Ça va faire deux semaines que j’ai désactivé Facebook. J’étais au travail. J’avais déjà perdu beaucoup trop de temps à rafraîchir mon fil d’actualité sans que quoi que ce soit ne se passe. Il était à peine 19h00 et je n’avais déjà presque plus de piles. Pourtant, il était plein quelques heures avant. Spontanément, je me suis rendue dans mes paramètres et j’ai cliqué sur «Désactiver».

Ça faisait des mois que j’y pensais, des semaines que j’en parlais, sans jamais passer à l’acte. Peut-être par peur de me retrouver seule avec moi-même. Peut-être par crainte de réaliser que malgré mes 2000 abonnés, je n’avais pas vraiment d’amis. Peut-être par peur de m’ennuyer. Mais m’ennuyer de quoi, au fond? De l’attention reçue? Des likes? Sûrement un peu. À partir de ce soir-là, je n’ai plus eu 200 personnes pour m’approuver, pour me dire que je faisais la bonne affaire. Pour me dire que j’écrivais bien. Que j’étais cute. Pour me dire que j’étais quelqu’un. Non. Depuis deux semaines, je dois apprendre à me suffire. Je dois apprendre à être ma principale source de motivation et d’encouragement. Et franchement, c’est assez cool.

Je n’ouvre plus Facebook avant La Presse ou Le Devoir lorsque je me réveille le matin et les yeux de mon copain sont la dernière chose que je vois en me couchant. Je lis davantage, j’écris davantage. Nous avons recommencé à regarder des films le soir et des séries sans avoir le réflexe d’aller sur Facebook vingt fois. Nous avons recommencé à nous regarder pour vrai. C’est con, mais nous étions toujours sur nos cellulaires lorsqu’un des deux faisait le souper. Maintenant, on prend le temps de se parler quand on arrive de travailler. On prend vraiment le temps. Notre attention n’est plus divisée entre les drama qui se déroulent sur Facebook, entre les messages auxquels on doit répondre et… l’autre. Je ne peux compter les fois où je lui ai répondu «Ce sera pas long, là, je dois répondre à quelque chose sur Facebook» ou encore «As-tu vu passer ça Facebook?». Je ne peux compter les fois où on a parlé des autres au lieu de parler de nous.

Je ne peux compter les heures perdues en stalkage de gens qui m’énervaient et qui, parfois, n’étaient même pas dans ma liste d’amis. C’est fou de donner ce pouvoir-là, celui du temps perdu, à des gens qu’on n’aime pas. Parce que s’ils ne savent pas qu’on les espionne, nous on le sait. J’allais régulièrement faire un tour sur le profil de l’un et de l’une pour avoir ma dose de yeux en l’air, pour avoir ma dose de soupirs. En ce moment, je ne me souviens pas de la majorité de ces noms. C’est pour dire à quel point ils n’étaient pas importants et pourtant, Dieu sait que je leur en ai accordé, du temps.

funny-memes-facebook1

Crédit : Meme Blender

Nous pouvons voir le message suivant lorsque nous nous connectons à Facebook : «Facebook vous permet de rester en contact avec les gens qui comptent dans votre vie.» alors que ce devrait plutôt être «Facebook vous permet de rester en contact avec les gens qui vous nuisent.» On s’entend que les gens qui sont réellement sur Facebook pour parler à leur grande-tante qui vit en Australie sont aussi rares que de la pisse d’évêque, comme dirait Marie Calumet.

Je ne peux pas plus compter les fois où j’ai dit, dans ma tête et à voix haute, «Coup donc! Il se passe rien sur Facebook aujourd’hui!», alors qu’au lieu de dire ça, j’aurais pu m’arranger pour qu’il se passe quelque chose dans ma vie; dans la vraie vie. Alors qu’au lieu de cliquer sur «Actualiser», j’aurais pu aller marcher. J’aurais pu aller m’entraîner. J’aurais pu écrire une lettre. J’aurais pu acheter des fleurs. J’aurais pu appeler ma mère. J’aurais pu étudier un peu plus. J’aurais pu aller au musée. J’aurais pu faire tout ce que je n’avais supposément jamais le temps de faire.

J’ai même l’impression d’avoir recommencé à savourer pleinement mes activités quotidiennes. Aller au restaurant sans prendre une photo du plat. Aller à la crèmerie avec mon amoureux et le regarder, en prenant le temps d’écouter la pluie tomber. Aller voir un spectacle et ne pas perdre de vue le moment, ne serait-ce que deux minutes. Ne plus être sur le qui-vive quant à savoir si telle sortie fera une publication Facebook intéressante. Non. Juste la vivre, l’activité. Laisser mon cellulaire dans mon sac ou mieux, à la maison. Pouvoir passer trois jours sans avoir besoin de le charger. Ne plus dépasser mon forfait de données.

Lorsque j’ai désactivé mon compte, j’ai reçu plusieurs textos. «Est-ce que ça va bien, Virginie?», «Vis-tu quelque chose de grave?», comme si désactiver son compte signifiait automatiquement que tu vivais quelque chose de très difficile. Comme si ça ne se pouvait pas. Lorsque j’ai répondu à tout ce beau monde que ma vie pourrait difficilement mieux aller, ils m’ont tous répondu quelque chose comme «Ah, d’accord. Écoute, je te comprends tellement! Moi aussi j’aimerais tellement ça supprimer mon compte». Pourtant, ils ne le suppriment pas. On ne sait jamais trop pourquoi on reste, quand on y pense. La peur de manquer quelque chose, j’imagine. La peur de ne plus se faire dire qu’on est brillant et que notre opinion vaut quelque chose. La peur de voir notre égo rapetisser. Tsé, on a tellement l’impression d’être important sur Facebook.

Je n’aurai pas la prétention de dire que je ne reviendrai pas sur Facebook. Mais en ce moment, ça fait tellement de bien. Depuis deux semaines, mes amis m’appellent ou m’envoient un texto s’ils veulent me rejoindre. Je parle plus à ma famille (ça nous force à prendre de vraies nouvelles). J’ai plus de temps. J’ai l’impression d’être de retour en 1990. C’est quand on scrute notre vie au lieu de celle des autres qu’on réalise à quel point tout reste à faire. Et honnêtement, c’est bien assez comme ça.

J’aimerais te dire que nous serons toujours ensemble, mais je ne peux pas

Crédit photo : Vinoth Chandar

J’aimerais avoir l’arrogance de te jurer qu’on sera toujours ensemble, mais je ne peux pas. J’aimerais te regarder et t’assurer que ça va durer jusqu’au bout. Être sûre comme je suis certaine que le soleil se trouve dans le ciel et non dans l’océan. Être sûre comme je sais qu’en ce moment, je ne voudrais pas me passer de nous. Être sûre qu’on va toucher l’horizon, qu’on va se regarder entre quatre yeux plissés par le passage du temps en se disant «On a réussi». J’aimerais ça te dire qu’on va s’aimer encore, qu’on va s’aimer encore mieux que dans la chanson de Vincent Vallières, mais la vérité c’est que je le sais pas, c’est que j’en sais rien.

Je ne crois pas que la rupture soit souvent le plan de base envisagé lorsque deux personnes décident de partager la moiteur de leur vie. Verrais-tu deux bouches se dire «Je t’aime, mais j’espère vraiment que ça crash nous deux et qu’on cesse de s’aimer»? Non. J’pense que personne souhaite ça. Ça fait juste arriver. Pas toujours, mais parfois. Et souvent, on croit être exempté, on croit être l’exception à la règle. Parce qu’on croit toujours qu’on s’aime mieux que les autres. Parce qu’on croit toujours être plus vrais, moins faux. Parce qu’on croit toujours avoir compris le détail qui échappe aux autres.

Mais la vérité, c’est qu’on ne sait jamais.

Il est possible qu’un jour, une autre te fasse plus rire que moi. Il est possible qu’une nouvelle âme soit plus intéressante. Il se peut que tu n’entres pas une nuit. Il se peut que je n’entre pas une nuit. Il est même possible que la recherche de nouveauté nous explose à la gueule ; qu’on se mette soudainement à se chercher dans d’autres personnes, dans d’autres sourires. Il se peut qu’on se perde. Qu’on mélange le Nord avec le Sud. Qu’on vive nos vies en parallèle. Qu’on se demande ce qui s’est passé pour qu’on s’éloigne à ce point-là. Mais surtout, qu’on cesse de se pardonner. Que les conneries deviennent des erreurs à reprocher à l’autre.

On ne vit pas dans un film, on ne vit pas dans un livre. De toute manière, que se passe-t-il lorsque la dernière page est tournée ou encore lorsque l’heure et demie est écoulée? Il ne se passe rien. Hormis une idée faussée de ce que devrait être l’amour. Une idée projetée sur l’écran de notre mental par des acteurs ayant été payés des millions pour nous faire croire que la fiction était la réalité. Mais elle ne l’est pas. Ces gens-là, ceux-là même qui jouent la comédie le temps d’un film, sont peut-être en train de se prendre la tête avec la personne partageant leur quotidien dans la vraie vie au moment même où on se dit  «Aw, ça c’est une vraie histoire d’amour. C’est sûr qu’ils sont morts heureux et amoureux». Tsé. Non. 

Même les gens les mieux intentionnés peuvent se faner et se friper. Ça arrive que deux personnes cessent de s’aimer. Parfois, il arrive que seule une des deux cesse d’aimer. Il est possible que les rires sonnent plus faux et que le temps, même si on lui prête toutes les vertus dont celle de tout arranger, n’arrange rien. Alors voilà. J’aimerais te regarder, te serrer le petit doigt en fermant les yeux et t’écrire une lettre te disant que «Je t’aime for ever and ever» comme quand on avait huit ans, mais on n’a plus huit ans. 

Et tant mieux. Imagine si on savait qu’on resterait ensemble. On se tiendrait sûrement pour acquis. On prendrait probablement moins soin de nous, on ferait moins d’efforts, on ne se séduirait plus. La notion de risque disparaitrait pour faire place à la mollesse, à l’habitude et à la fameuse zone de confort. Ce serait plate. Si je savais que tu serais là pour toujours, je t’aimerais sûrement un peu moins. 

Mais je sais que j’ai envie de voir le temps s’étaler sur ton visage comme dans la vidéo. Celle dans laquelle deux jeunes amoureux se font maquiller pour qu’ils puissent voir de quoi ils auront l’air à 50 ans et à 70 ans. Ça m’a tellement émue. J’ai envie de vivre ça avec toi. J’ai envie de continuer à surmonter les difficultés pour qu’on réalise chaque jour qu’on est solide, mais surtout pour qu’on réalise à quel point on est fragile. 

J’ai envie d’assister à tes réussites, j’ai envie que tu assistes aux miennes. J’ai envie qu’on continue de mettre nos égos de côté, davantage pour le meilleur que pour le pire. Ouais, j’ai envie de continuer ça. Qu’on dépasse parfois la limite, qu’on réalise, qu’on grandisse. Ensemble. 

Je peux te dire une autre chose aussi. C’est que pour la première fois de ma vie, je ne vois pas la fin. Chaque fois qu’il y avait un début, je savais que la conclusion était imminente. Ça prenait parfois six mois, parfois deux ans. Je me suis rarement, voire jamais, trompée. Et pourtant, ça ne m’a pas empêché d’aimer. Ça ne m’a pas empêché de partager et de rire. Tu l’as expérimenté aussi. Tu as aimé avant. Aimé différemment. Nous avons dansé avec d’autres personnes, nous avons caressé d’autres oreillers. Nous avons même eu d’autres rêves. Quoi que je ne pense pas. Nous avons les mêmes rêves que nous avions avant, à la différence qu’ils sont maintenant partagés avec la personne qui y donne un sens.

Lien de la vidéo : Young Couple Gets Increasingly Aged with Make-up and Revealed to Each Other

Les choses qu’on n’écrit pas sur Facebook

Crédit photo : Mich Mutters

On a souvent l’impression de le voir sur Facebook et Instagram, entre deux visages trop léchés par les filtres et les 200 poses ayant été nécessaires à l’étalement du bonheur virtuel. On a l’impression de le regarder, l’amour parfait, alors que bien souvent, on ne regarde que ce que les autres ont choisi de nous montrer. Ce qu’ils ne nous diront pas, c’est que ça leur a pris une heure avant d’obtenir la pupille qui scintille assez sur la dernière photo qu’ils viennent de publier.

On prend tous nos beaux moments en photo. Notre déjeuner à l’Avenue, parce qu’on est cool comme ça. Les livres brand new usagés qu’on a dénichés à la librairie Henri-Julien, parce qu’on est cool comme ça. Nos pique-niques au Parc Laurier et nos smoothies super santé, notre nouvelle table faite en bois de palettes et nos verres d’alcool super huppés dégustés au Big in Japan. Ce qu’on ne dira pas, c’est qu’on a attendu 1h30 en file – dans le froid de l’hiver – devant la porte de l’établissement avant qu’on daigne nous assigner une place.

On a l’air parfaits. C’est pas mêlant, si on se regardait de l’extérieur, on voudrait être nous. Mais pendant ce temps-là…

Ce qu’on n’écrit pas dans un tweet de 140 caractères ou dans un statut trop long, ce sont les moments laids. Parce que c’pas vrai qu’on «feel toujours happy» comme dans la chanson de Véronique Dicaire en présence de l’autre. Parfois c’est sale, très sale. Autant que nos ongles quand on joue dans les fleurs au printemps. C’est agréable, mais ça peut salir sur un moyen temps. Et souvent, au moment où on s’y attend le moins. Mais ça, on va le garder pour nous. On le dira pas, qu’on a l’impression d’être l’incarnation d’une chanson du groupe The Used depuis une semaine.

Parfois, on ne le dira même pas à nos ami.e.s, question d’être la personne pour qui tout va toujours bien. Quand t’en parles pas, c’est un peu comme si ça n’existait pas. La course au bonheur est tellement importante ; on ne veut pas être celui ou celle qui vit un moment poche ; celui ou celle qui trébuche devant le fil d’arrivée. Il y a une espèce de lutte entre les bonheurs, hen. C’est à savoir qui vivra le plus grand et le plus pur. C’est bien rare qu’on va prendre des photos de nos larmes ou qu’on va enregistrer nos engueulades pour les publier sur Facebook. On les garde pour nous, ces moments-là. Et tant mieux. Ce serait un peu «malaisant» pour les autres dans le cas contraire. Mais ça biaise nos perceptions.

Durant ce temps, on base nos idéaux de l’amour conjugué au plus-que-parfait sur quelque chose qui n’existe pas, ou du moins, qui n’est démonté qu’en partie. Et quand on rencontre quelqu’un, on le quitte au premier nuage, car le soleil semble toujours briller sur les photos de Sandy et Marc et nous aussi on veut une vie dans laquelle le soleil flamboie tout le temps. Mais ce qu’on ne sait pas, c’est que Sandy et Marc sont passés au travers plusieurs orages. Ils n’ont juste pas cru bon les prendre en photo. 

On ne discute pas de nos bobos et de nos gales qui poussent difficilement. On ne dira pas qu’on passe nos nuits à se gratter d’inconfort ces temps-ci. On va attendre que ça passe pour pouvoir exposer notre amour à nouveau deux semaines plus tard. Pendant ce temps-là, les autres ne savent pas. Et la seule chose qu’ils verront, dans 14 jours, sera à quel point on est beaux et à quel point on a toujours l’air de revenir d’une semaine de vacances tellement on sourit avec les dents en disant que tout va bien.

Tout ça pour dire que c’est vrai que l’amour est beau, vraiment beau. Mais la vraie beauté n’est pas celle qu’on voie au travers nos écrans en se rendant à l’école ou en revenant du travail. C’est celle qui se cache derrière tout ça. Celle qui se trouve derrière des trahisons, des déceptions, des excuses et des pardons dont nous ne sommes pas témoins. Jamais. C’est celle que seules les personnes concernées connaissent. Ceux qui savent qu’ils ont fait le choix de ne pas se choker aux détours des évènements. Mais on n’est pas au courant de ces choses-là.  

Malgré les apparences, ce n’est jamais l’été tout le temps. Il y en a, des hivers longs. Il faut parfois couper de l’épinette longtemps avant de voir les fleurs pousser. On le sait. Mais paradoxalement, la seule chose que les autres voient, c’est le champ de fleurs qui semble toujours avoir été. On ne peut pas les blâmer. On a dû leur montrer cent images de ce champ-là et aucune des arbres qui piquent. On est tous un peu responsable de ce leurre collectif, de cette idée travestie qu’est «l’amour parfait». On manque peut-être tous un peu d’honnêteté dans cette histoire, qui sait. 

L’amour, ce n’est pas une partie constante de serpentins et de confettis. Ce n’est pas toujours avoir le coeur qui palpite pour l’autre comme si tu venais de voir quelqu’un sortir de ton gâteau d’anniversaire. C’est loin d’être toujours esthétique et glamour. Il y a des remises en question, des moments où tu ne sais pas, où tu ne sais plus. Des jours où garder le cap est difficile, où t’aurais juste envie de t’enfuir devant le vent qui menace de se transformer en ouragan ; des jours où tu fais tout de même le choix d’affronter les tempêtes en silence. Mais ça, on ne te le dira pas. 

La parabole de l’intelligence et de la nudité

Crédit photo : Spapax

Crédit photo : Spapax

Par définition, les deux extrémités d’une parabole ne se touchent jamais ; ne se rencontrent jamais. Par définition, les femmes qui se dévêtissent – industrie pornographique, danseuse nue, revue érotique, nu, nu érotique – sont dépourvues de la faculté de penser et sont par le fait même, dépourvues de tout respect pour leur personne (sic). Ce sont de pauvres brebis égarées s’étant fait coincer dans le mur du fond par l’hypersexualisation ou présentant très certainement des «daddy issues». On fait fi de leurs motivations, de leur possible démarche artistique, de l’humaine qui se trouve derrière. On ne veut pas les écouter non plus. Heille! si tu montres tes seins, ferme ta bouche. Tu n’as plus le droit de parler. Tu n’as pas le droit d’expliquer, même si tu ne devrais pas te justifier. Tu n’as plus non plus le droit de revendiquer.

Lorsque tu enlèves tes vêtements, que ce soit en couleur, en noir et blanc, en statique ou en mouvement, on te pointe automatiquement du doigt. On dit que tu es une fille facile (alors que c’est l’insulte qui l’est, facile) et/ou que tu es une fille en manque d’attention (alors qu’on te donne exactement ce qu’on te reproche -supposément- de demander). On va même te sortir des théories à deux cennes du genre «Père manquant, fille manquée». On va prétendre savoir, plus que toi, pourquoi tu le fais. On ne te l’a peut-être pas dit, mais Lucky Charms distribuait des doctorats en psychologie dans ses boîtes de céréales la semaine dernière.

Si tu as fait ça avant, dans un passé ne faisant plus partie du présent, on va se faire un plaisir de te le ramener au visage comme un boomerang fatiguant revenant toujours sans que tu ne saches trop pourquoi. On va essayer de te faire sentir mal et de t’humilier. On va te dire que tu n’avais qu’à y penser, que les bonnes personnes – intelligentes et ayant du jugement – ne font pas ce genre de choses. On va même remettre en question ta capacité de réflexion. Maintenant, vis avec!

Si tu fais des autoportraits érotiques pour ton amoureux ou ton amoureuse et qu’une personne malintentionnée pirate ton cellulaire ou ton compte Sound Cloud, tu n’es pas mieux! Toi aussi, tu l’as cherché. On ne pointera surtout pas du doigt le méchant pirate ; ce sera toi la fautive. On essaiera alors de te faire sentir sale d’avoir osé prendre ton corps en photo pour aguicher ton copain ou ta copine à distance. Tu n’avais qu’à attendre qu’il ou elle revienne de travailler. Ce n’est pas difficile à comprendre, il me semble. Encore une fois, ce sera ton problème, dû à ton manque de jugement. On l’a vu il n’y a pas longtemps avec Jennifer Lawrence. Quelle traînée!

On va même se mettre en bande pour te démolir, nous qui sommes contre l’intimidation à l’année longue. Nous allons même identifier nos ami.e.s sous tes photos pour qu’un max de gens puissent te dénigrer. On pourrait faire le choix de ne pas aller sur ta page, mais c’est plus fort que nous. Tu nous déranges trop. Tu es la cible rêvée : l’approbation découlant de la haine collective à ton égard justifie et demande qu’on te frappe dessus. On va même te demander si tu as honte, alors que c’est peut-être de notre agressivité que nous devrions avoir honte. 

On pourrait peut-être se dire que chaque personne est libre de faire ce qu’elle veut avec son corps ; qu’elle est libre, dans toute son entièreté, de l’exposer comme bon lui semble, sans être soumise à nos jugements valant le même prix que les bonbons à 0,01$ au dépanneur du coin. On pourrait, mais on ne le fait pas. Et je ne sais pas pourquoi. Ce serait pourtant si simple, comprendre que les principes de l’une et l’un ne sont pas les principes de l’une et l’autre ; et que ce n’est pas grave.

Ce serait pourtant si simple, passer son chemin. C’est drôle, mais lorsqu’une chose me déplaît, je ne m’arrête pas ; je poursuis ma route. De plus, je trouve qu’il y a quelque chose de foutrement débile à associer intelligence et respect de soi à ce genre d’actions. Si une femme a envie d’agir en un sens comme en plusieurs, ne se respecte-elle pas davantage en agissant comme bon lui semble?

Aujourd’hui, un blogue-guenilles a associé mes idées avec une ancienne image d’une certaine version de moi. Une image d’une revue pour laquelle j’ai posé il y a quelques années. «Pour replacer les gens», qu’on m’a dit. Me présenter comme étant la «Fille de» n’a pas semblé suffisant à ces pauvres énergumènes en manque de clics ; me réduire à ça, ce qui est déjà avilissant en soi, ne fut pas assez, apparemment. L’ironie de la chose est que j’ai pondu ce texte (la (non) corrélation entre l’intelligence et la nudité) plus tôt ce matin, sans savoir que quelques médias se foutaient assez des 149 morts au Kenya pour m’accorder un billet non signé sur leur prestigieuse plateforme. Mais je ne suis pas la seule, hen. On a aussi jugé bon de parler des «bourrelets» de Britney Spears.

Aujourd’hui, on m’a montré une fois de plus qu’on se donnait le droit de souiller (ou du moins, d’essayer de souiller) les idées d’une personne en juxtaposant, sans trop de succès, ces dernières à une image afin de la discréditer. Les femmes ne sont pas des paraboles. Elles sont constituées d’un ensemble de variables, tant dépendantes qu’indépendantes, se croisant au sommet de leur être. Au lieu de crier haut et fort nos préjugés, on devrait peut-être faire l’effort d’essayer de comprendre pourquoi ça nous dérange tant qu’une femme fasse ceci ou cela, et surtout, en quoi cela mine sa capacité à réfléchir, à avoir des opinions et à les défendre.

Ne pas cadrer dans le tableau Excel de la vie

Crédit photo : Brooke Hoyer

Je redoute le jour où je ne pourrai plus dîner à coups de galettes de riz à saveur de pop-corn. Les matins où les graines de pain dans ma livre de beurre vont commencer à me déranger. J’ai peur du jour où je vais devenir irritable en entendant la musique du voisin ou quand mon chum ne changera pas le rouleau de papier de toilette. J’ai peur du moment où on va réaliser qu’on se laisse affecter par les mêmes banalités que les autres, genre deux assiettes qui traînent sur le comptoir depuis deux jours ou un lit pas fait. 

J’ai peur du moment où on va me demander ce que je veux faire « dans la vie » et que la réponse « Écrire » ne sera plus correcte. L’instant où je vais voir le découragement dans les yeux de mon interlocuteur et la minute où il me dira « Je veux dire, pour vrai Virginie. Un travail sérieux. Qu’est-ce que tu veux faire? » Je n’aurai rien de plus à répondre que la réponse précédente. Il me dira alors quelque chose comme « Arrête de niaiser, là ». 

J’appréhende l’instant où je vais me sentir mal de pas avoir de voiture, l’instant où je vais répondre que j’en n’ai pas besoin, même si on me dira alors que c’est la plus belle liberté du monde et que je vais me demander comment je faisais avant à l’instant où je serrai derrière le volant. « Il est temps que tu aies une voiture V. Tu ne pourras pas marcher toute ta vie ou choisir ton appartement en fonction de la distance qui le sépare d’une station de métro. » Peut-être, mais peut-être pas non plus. Pour le moment, la seule chose que je vois sont les paiements et l’endettement que je n’ai pas, pour un besoin que je ne ressens pas. 

Je redoute la journée où on me dira qu’il serait peut-être temps que je sorte de ma tête deux secondes et que je commence à payer des impôts comme tout le monde. La journée où on me dira que j’aurais dû poursuivre ma technique en soins infirmiers parce que c’était un métier avec de l’avenir et un fond de pension assuré pour les belles années. La journée où on me dira que j’ai pris la mauvaise décision et que les rêves sont pour les autres. Le matin où mes factures vont avoir un goût amer, celui qui va me faire dire « J’aurais peut-être dû finalement ».

J’ai peur des semaines où on n’ira plus se chercher du vin cheap à 12$ parce qu’on va vouloir être matures-responsables-adultes et ne plus boire les soirs de semaine sous prétexte que c’est pas sérieux. Des soirées où on se regardera plus avec des yeux qui sourient en disant en même temps « NON. On se commande PAS de pizza. Ok… c’est quoi le numéro déjà? » en s’esclaffant jusqu’au premier étage de l’appart. J’ai peur de la culpabilité qu’on ne ressentira plus en ne roulant plus jusqu’au lit après avoir trop mangé.

J’ai peur de l’année où la première neige ne me fera plus rien. Où je ne ressentirai plus le besoin de me positionner le corps dans la poudreuse en sortant la langue pour goûter à l’acidité du ciel. J’ai peur de l’instant où je vais me foutre de tout ça. Le moment où je vais juste voir les troubles que ça occasionne. Le froid, les trottoirs glacés, les lèvres gercées.

J’ai peur des cadres dans lesquels les autres essaient de nous faire entrer sous prétexte qu’ils sont pris dedans.

J’ai peur d’être bien en appartement et de ne pas ressentir l’appel du condo ou de la maison, même si je « garoche » de l’argent par les fenêtres chaque mois et qu’on aime me le répéter à la même fréquence. J’ai peur de me sentir conne de voir la « maison » comme un sentiment et non comme une acquisition. « Se sentir à la maison » au lieu d’ « Avoir une maison ». Moi, j’me sens bien partout. J’ai peur de cet instant où je vais confondre les désirs de la société avec les miens, où je vais peut-être faire le mauvais choix de me conformer pour avoir la paix. Pour pu qu’on me parle des REER que je n’ai pas ou de la piscine que je n’ai pas ou de la job steady que je n’ai pas. Pour pu qu’on me dise que pour être heureux, il faut absolument être propriétaire.

J’ai peur du jour où j’aurai pu l’excuse de l’âge et des incertitudes qui viennent avec le 20-something ; du moment où j’pourrai pu tout mettre dans un pack sac et partir si l’envie me prend. Mais j’ai surtout peur du jour où être propriétaire de ma vie ne sera plus suffisant.

 

Les enfants de l’hôpital

01020104884300

Crédit photo : Renee C. Byer

J’ai tenu la mort dans mes bras, je l’ai transportée. Je lui ai donné un bain. Je l’ai parfois faite manger, parfois faite rire. Je l’ai transportée en chaise roulante dans les couloirs bruyants d’un hôpital trop bondé. 

J’ai souvent joué à des jeux de société avec elle, j’ai souvent perdu. Je lui ai parfois caressé les cheveux tendrement en lui chuchotant que tout irait bien même si je n’en savais rien. Je l’ai souvent regardée dans les yeux, au creux d’une pupille à l’éclat trop vif pour que la mort et non la vie soit en train d’y rire. 

J’ai parfois écouté des films avec elle, elle m’a parfois souri. Je me souviendrai toujours des paroles de ce garçon, plus petit que grand, au pavillon Charles-Bruneau : « Vous allez m’attendre pour faire le sapin, hen? » Il est mort avant même que la première guirlande ne soit installée. 

Je me suis parfois transformée en conteuse d’histoire de dragons et de poussières d’étoiles. Je me suis parfois transformée en personnage de Disney. J’ai souvent parcouru les corridors en lui donnant la main. Je l’ai vue partir, je l’ai vue revenir. Je l’ai vue s’infiltrer au cœur de l’espoir. J’ai entendu des parents pleurer, j’ai vu des bras tomber le long de corps secoués. 

J’ai vu des adultes s’entraider et se soutenir. J’ai vu ce qu’il y avait de plus beau dans ce que la vie a de plus laid à offrir. J’ai vu des mains se serrer et des oreilles écouter. J’ai entendu des « Prends une pause, je prends le relais ». J’ai vu des soupers en tête en tête dans une cuisine commune. J’ai vu l’intimité prendre sa place même si ce devait être devant tout le monde. 

J’ai vu l’hôpital devenir un second foyer pour trop de familles. J’ai vu des frères et des sœurs enfiler gants et masques pour rendre visite à leur frère paralysé dans un lit inhospitalier. J’ai vu leur incrédulité. J’ai vu des corps frêles perdre leurs cheveux et devenir blêmes comme des fantômes. J’ai vu des cernes se creuser, refusant d’abdiquer. J’ai vu des enfants plus courageux que vous et moi, dont les sourires étaient plus sincères que les vôtres et les miens. 

J’ai vu la vérité sans artifices, le visage de la maladie étant assez puissant pour faire tomber tous les masques. J’ai vu des besoins primaires devenir secondaires. Manger, se doucher, se coiffer. Plus rien n’est important lorsque les minutes sont calculées. 

J’ai vu des mains se tendre vers le ciel d’une chambre à coucher et des étoiles se transformer en supernova. J’ai vu des sourires exploser de mille feux et s’éteindre entre deux ridelles. J’ai vu des bombardements de lumière se transformer en trous noirs. 

J’ai vu des visages calcinés, brûlés par le désir d’avoir voulu impressionner un ami en jouant avec le feu. J’ai vu des mains dont les doigts devinrent noirs, figées dans la cendre pour l’éternité. 

J’ai vu des adolescents impuissants, incapables de se lever pour aller à la salle de bain. J’ai ressenti leur humiliation; parce que même si nous sommes de bonne foi, eux l’ont perdue depuis longtemps. De toute manière, qui a envie de devoir sonner une cloche pour aller uriner?

J’ai vu des regards suicidés. Des âmes perdues, qui avaient voulu en finir pour toujours. J’ai côtoyé des blessures trop lourdes à porter, des maux étendus sur une civière à l’observation. Des maux qui m’ont parfois demandé ce que je faisais dans la vie, qui m’ont parfois demandé comment je la trouvais, la vie. Avez-vous déjà été en face d’un enfant ayant tenté de mettre fin à ses jours? Je suis souvent devenue muette de perplexité. Je n’ai souvent rien eu à dire. J’ai souvent dû détourner le regard pour ne pas répondre que je ne la vivais pas toujours bien, cette vie.

J’ai entendu des soupirs de soulagement et j’ai vu des larmes de joie. J’ai vu l’espoir incarné par la découverte d’un nouveau traitement. J’ai vu des fronts se coller et des mains se nouer. J’ai entendu des coeurs recommencer à battre et j’ai vu des jambes recommencer à marcher. Si j’ai souvent été témoin de chutes, j’ai parfois été témoin d’ascensions, de rémissions. J’ai vu des familles vivre d’espoir et d’eau fraîche. 

J’ai vu des petits soldats se battre sans entraînement et sans préavis; des petits soldats n’ayant pas eu le temps de séjourner sur une base militaire afin d’apprendre à se défendre, qui ont été plongés au coeur d’un champ de bataille dont le seul ennemi à abattre était leur propre corps.

J’ai vu le monde dans toute son absurdité. J’ai vu des humains hauts comme trois pommes brunir avant l’heure. J’ai eu l’honneur (ou l’horreur) de côtoyer la vérité, aussi laide soit-elle. J’ai réalisé que vieillir était un privilège et j’ai compris que chercher un sens ne servait à rien, que même les petits rayons de soleil pouvaient mourir dans l’ombre.

T’as couché avec combien de gars?

gdyegdyegdu

Je dis « combien de gars » parce qu’il est assez rare qu’un gars va se faire juger sur le nombre de partenaires sexuelles qu’il a eues. Bien qu’on soit en 2015 et que nous sommes censés être évolués et dotés d’une capacité de jugement, les phrases telles que : « T’sais bro, une clé qui débarre tous les cadenas, c’est boss, mais un cadenas qui se fait ouvrir par toutes les clés, c’est dégueulasse » ou encore : « T’sais, nous les gars, c’est plus physique. C’est nous qui avons le pénis. On entre en vous alors que vous ben… vous vous faites rentrer dedans. Ça fait que… » semblent encore avoir la cote.

Je ne sais pas si c’est parce que nous avons la tendance obsessionnelle facile en ce qui concerne le passé de l’autre, mais la fameuse question du « Pis toi… T’as couché avec combien de gars? » semble toujours se pointer aussi rapidement que l’hiver : trop rapidement et comme l’hiver, elle ne sert à rien. Il est drôle de voir qu’on schématise une humaine selon le nombre de pénis qui sont entrés dans son vagin. Moins de dix? C’est une bonne fille. Plus de dix? Elle a la tendance facile, mais ça va. Plus de vingt? On lui fait croire qu’on va à la salle de bain et on ne revient jamais. (J’exagère, mais à peine.)

Dans une société où les gens prétendent être libres, ils ne laissent pas les autres, et plus particulièrement les femmes, être libres de leur corps, de leur intimité et de leurs désirs. Si nous ne pouvons pas décider de ce que nous faisons avec notre corps, je me demande vraiment sur quels sujets nous aurons le droit de prendre des décisions.

C’est la légitimation du nombre! Il faut le faire, quand même. Pousser la connerie jusqu’à établir une corrélation entre « Respect de soi » et « Nombre de personnes avec lesquelles l’autre a eu du plaisir ». Du plaisir! On ne parle pas de meurtre de bébés animaux ou encore de braquage de banque, mais bien d’orgasmes, d’évasion de l’esprit, comptabilisés en termes de minutes qui font du bien. Du bien. Et pour ça, pour cette raison, on pointe du doigt et on juge celles qui s’assument. Ça va tellement bien que je me demande souvent comment ça pourrait être pire.

Il faut jouer le rôle que la société nous impose, celui des apparences, au détriment du respect de ses désirs propres. Plaire à la foule même si cela implique de réprimer ses envies. Plaire pour recevoir des applaudissements dans un spectacle intitulé La bonne fille. Plaire en jouant une pièce de théâtre avec des lignes de textes apprises par coeur pour ne pas déranger l’auditoire, pour s’assurer de ne pas s’écarter (lol) du but initial : rassurer celui qui se trouve en face de nous.

Parce que si on déroge du texte appris par coeur, ça angoisse l’autre. Il se trouve soudainement moins spécial. Parce que ça lui met les mains dans ses insécurités, dans ses jugements de valeurs non fondés. Parce qu’il est tellement question du « Je-Je-Je-Moi-Moi-Moi » qu’on ne sait jamais trop comment se sentir si on n’a pas la certitude d’être le meilleur tout de suite. Parce que s’il y a eu d’autres pénis, peut-être qu’elle aimera moins le mien. Parce que ça ne pourra peut-être pas fonctionner nous deux finalement. L’humain est tellement narcissique.

Ce qui est aussi en vogue ces derniers temps, ce sont les filles qui se mettent en cercle pour en pointer une autre du doigt avec « Assumage de sexu » en trame de fond. « J’ai entendu dire que cette fille-là couchait avec plein de gars… » (Tu ne lui as jamais parlé, tu ne l’as jamais vue dans la vraie de vraie vie, mais tu juges une inconnue sur un fondement sans fondement, sur un pan de vie privée qui ne te regarde pas et qui ne te regardera jamais.)

Tu ne serais même pas capable de lui dire, yeux-dans-les-yeux que « Supposément que t’as couché avec plein de gars là… ». T’en serais incapable, parce qu’en le disant, tu réaliserais beaucoup trop à quel point c’est stupide et à quel point ça ne change rien. Pourquoi tu ne t’abstiens pas alors? T’es pas obligée de participer à la connerie collective.

Je ne comprends pas que cette question se pose encore. A force d’en parler constamment, on fait vivre ce passé qu’on aimerait tant inexistant et on tue la vie au présent. Je suis certaine que tous ceux et celles qui liront ce texte ont déjà été confrontés-ées à cette fameuse question. Soit vous l’avez posée, soit vous l’avez reçue. Pourquoi? Vous ne voulez même pas connaître la réponse, sinon pour vous faire rassurer. T’inquiète pas, moi j’ai juste couché avec six gars avant toi.          

« T’inquiète pas. » Comme si c’était grave! Parce que oui, c’est souvent cet ensemble de mots qu’on choisit pour justifier les gémissements passés. Heille. Aie confiance en toi, chose. On s’en fout, du nombre de gars que ta copine-fréquentation-date a vus dans sa vie, t’sais dans sa vie dans laquelle t’existais même pas encore. Apprends donc à la connaître via le blanc de ses yeux au lieu de chercher à la connaître via les pénis qu’elle a touchés, avant.

Après tout ça, on se fait vraiment croire qu’on s’est libéré des carcans que nous imposait la religion. Mais non. Nous sautons dedans à pieds joints, chaque jour, tout le temps. Parce que la sexualité assumée est associée au mal, à quelque chose de sale, de laid, alors que la préservation de ses envies pour on-ne-sait-pas-trop-quand-mais-ça-va-ben-arriver-un-jour, est associée au bien. En quoi est-ce bien de ne pas respecter ses envies si envies il y a? En quoi? De toute manière, tu la ressens, la pulsion. Celle qui te pousse à terminer la soirée avec le beau brun que tu connais à peine depuis plus longtemps qu’un coucher de soleil. Celui qui te regarde avec des yeux en étoiles, celui qui te donne le plus beau sourire du monde, celui contre lequel t’as envie de te coller, celui qui te fait suer de plaisir juste à le regarder. Même si tu dis non pour ne pas avoir l’air de, tu vas tout de même avoir eu envie. Pourquoi être hypocrite envers soi pour avoir l’air d’une-bonne-fille-moi-je-fais-pas-ça-ces-choses-là aux yeux de gens dont on se contrefout? Spécial, quand on y pense.

Si tu n’as pas envie de faire l’amour, de baiser ou de toucher lorsque tu n’es pas en couple (même si t’es en couple, dans le fond), t’as tellement le droit. Mais les autres aussi ont tellement le droit. Elles ont le droit de se respecter dans ce qu’elles sont, dans ce qu’elles veulent. Une fille n’est pas une sainte-nitouche parce qu’elle a couché avec juste 2 ou 3 personnes. C’est son choix, son parcours de vie, ses décisions. Une fille n’est pas une salope parce qu’elle a couché avec 80 personnes. C’est son choix, son parcours de vie, ses décisions. De toute manière, tant que je ne lirai pas une étude scientifique établissant une corrélation entre Bonne personne et Nombre de partenaires sexuels, je vais continuer de trouver ça weird qu’on se juge  là-dessus, qu’on pointe les autres du doigt en grimaçant à propos de leur vie intime.

Occupez-vous de la vôtre, je vous jure que vous allez avoir la santé plus heureuse! Les gens ont le droit de faire ça à deux, à huit, à cinquante même. Ils ont aussi le droit de s’abstenir. LEUR CORPS, LEURS CHOIX. Combien de fois faudra-t-il le répéter? LEUR CORPS, LEURS CHOIX. Peut-être qu’à force de ne plus la parler, la langue de la critique et du jugement inutiles va finir par mourir et devenir une langue étrangère, oubliée, lointaine. J’en doute, mais j’espère fort. Une fille n’est pas facile sous prétexte que. C’est l’idiotie qui l’est, facile.

S’aimer debout dans un monde à genoux

dgdydd

Tu sais ce qu’on dit aujourd’hui? Qu’on ne peut plus s’aimer comme avant. Ils disent qu’on a perdu au jeu de l’amour, qu’on ne sait plus comment faire, qu’on n’est plus apte à danser entre les aléas de la vie, entre les surtout, mais surtout entre les malgré. Ils disent qu’on n’a jamais su, que nous sommes une génération perdue, qu’on ne saura jamais. Ils disent qu’il est trop tard, qu’on s’est ruiné, à quelque part entre les années 2000.

Ils disent que la confiance est rendue à l’image de l’entrée que l’on prend au restaurant : elle coûte cher, elle se mange une petite bouchée à la fois, et de toute manière, on ne va pas au restaurant souvent. Le mensonge est devenu le plat principal et on consomme l’amour au dessert : à dose modérée et pas constamment. Ils disent que c’est trop dangereux pour la santé, que ça pourrait faire mal à notre cœur jusqu’à l’infarctus.

Ils disent aussi que l’amour fait pousser les cheveux blancs et les rides plus rapidement, que c’est une source d’angoisse, qu’on ne peut jamais être certains. Ils disent qu’il y a toujours un mais. Ils disent que s’aimer toute une vie est impossible, que l’on s’aime pour une nuit, et parfois, pour la journée du lendemain. Ils disent que les sorties dans les bars sont fréquentes et que les déjeuners sont rares. Ils disent que l’étincelle dans les yeux explosent et meurt au fond des verres d’alcool ou dans les pilules de MDMA.

Ils disent que la tentation est partout et qu’il y a toujours mieux ailleurs. Ils disent aussi qu’aujourd’hui, les gens se demandent ce qu’ils font dans la vie avant de se demander quels sont leurs intérêts; qu’ils se demandent si leur passé est réglé avant de se demander s’ils iraient bien ensemble. Il ne faut pas perdre de temps, mais il ne faut pas le prendre non plus. Perdre et prendre, deux verbes que l’on confond souvent.

Ils disent que c’est devenu [im]possible. Qu’on ne se remet jamais du premier amour, qu’on conjugue toujours au passé, qu’on n’est plus capable d’accorder le présent au futur ou au plus-que-parfait. Ils disent qu’on vit à l’imparfait.

Ils regardent ceux qui réussissent d’un drôle d’air, un peu comme s’ils venaient d’une autre planète. Comme s’il était anormal de faire le choix de se choisir, comme si ça ne pouvait pas bien finir. Ils disent que tous les garçons sont des salauds et que toutes les filles sont folles, qu’il suffit de choisir la moins folle de la bande. Ça les fait même rire alors que c’est plutôt triste. Ils disent que nous sommes victimes de notre génération, qu’il n’y a rien à faire. Que l’amour a toujours une date d’expiration et que la relation caille souvent avant la date de péremption. Ils disent qu’on se laisse sécher au soleil trop longtemps et que la moisissure a le temps de se former avant qu’on le réalise; que le temps qu’on s’en rende compte, il est déjà trop tard et ça sent mauvais.

Puis il y a eu toi. Il y a eu toi qui as fait mentir tous les pronostics, un peu comme le 5% de chance de guérison auquel tu t’accroches lorsqu’on te diagnostique une maladie incurable. Il y a eu toi, que j’ai appris à connaître au fil des mois. Toi qui me faisais rire, toi avec qui je me sentais bien. Toi qui avais absolument tout ce que je désirais. Toi et les mois qui ont passé. Un été, un voyage en France, des fréquentations. Toi qui étais là même quand tu ne l’étais pas.

Il y a eu toi, sur le coin de la rue Mont-Royal et Saint-Denis, quand je te disais que je pourrais venir te rendre visite lorsque tu habiterais en France; te rendre visite en tant qu’amie. Il y a eu toi, qui m’as répondu : « J’pense pas. On ne se parlera plus rendu là. De toute manière, je ne sais pas pourquoi on se voit toujours, ça ne donne rien. » Je t’avais répondu : « Pourquoi on se voit si ça donne rien? », ce à quoi tu avais répondu : « J’sais pas. » Je t’avais trouvé con, mon coeur avait eu un pincement, mais je t’avais répondu : « Ben ok alors. » On s’aimait, tellement déjà.

Deux semaines plus tard, nous étions ensemble. Un mois plus tard, nous signions un bail. Un gros risque, comme ils disent. Ils disent beaucoup de choses, ces gens-là. Pourtant, nous n’avons jamais été aussi bien. Ces gens ont oublié de nous dire que ça avait toujours été possible et que les contes de fées n’avaient rien à y voir. Ils ont oublié de nous dire à quel point l’amour était doux, à quel point les slows dansés dans la cuisine goûtaient bons, à quel point les fous rires pouvaient réparer tous les morceaux brisés, à quel point les inside jokes valaient tous les spectacles d’humour du monde.

Ils ont oublié de nous dire à quel point faire l’amour avec amour était transcendantal, ils ont oublié de nous dire qu’on pouvait pleurer d’amour, pas parce que c’est laid, mais parce que c’est beau. Ils ont oublié de nous dire que la phrase « On s’est trouvé » valait tous les swipage à droite sur Tinder. Ils ont oublié de nous dire à quel point un couloir d’appartement où traînent des paires de jogging, des bas et des souliers pouvait être réconfortant.

Ils ont oublié de nous dire qu’on pouvait s’exciter la poésie intime sur fond de messages textes, de jupe moulante et de regards coquins. Ils ont oublié qu’une épaule dénudée pouvait dire « Je t’aime », que des pieds qui se touchent sous une table de cuisine pouvaient dire « J’ai envie de toi » et que le soupir d’après l’amour était toujours plus pur que tous les souffles qu’on retient par peur de s’étouffer à cause du trop plein qui entrerait.

Ils ont oublié de nous dire à quel point on pouvait s’en foutre, du siège de toilette pas baissé ou du rouleau pas remplacé. Qu’un comptoir plein de vaisselle n’était pas grave, qu’un lit défait n’était pas grave, parce que quand tu vis, t’as pas toujours le temps de mourir avec des détails aussi insignifiants. Ils ont oublié de nous dire qu’on pouvait resté dans le hall d’entrée de notre appartement dix minutes parce que l’observation de l’âme de l’autre nous faisait perdre la notion du temps.

Ils n’ont pas oublié de nous parler des chicanes, mais même lorsqu’elles se déroulent avec des game de « c’est-qui-qui-va-faire-le-plus-de-yeux-en-l’air », même quand elles se résument à des : « C’est bon là. J’ai dit que c’tait BON, LÀ. Bla-bla-bla j’entends rien », même quand ton vocabulaire se résume  à : « ARK, sérieux là, ARK », même lorsque tu te chicanes fort au point de partir de la maison en disant : « C’est ça, je m’en vais m’entraîner, bye là », et que tu réalises une fois à l’extérieur à quel point il fait froid et que t’as pas du tout envie de t’entraîner, mais que t’es tellement orgueilleuse que tu vas faire le tour du bloc 15 fois pour lui faire croire que plutôt que revenir après 5 minutes, elles sont belles, les chicanes. Elles sont belles, parce qu’elles se terminent toujours en riant.

Ils ont oublié de nous dire qu’on aurait l’humilité de dire à coeur ouvert : « Ce que t’as fait m’a fait de la peine » au lieu du classique je m’en foutisme; que la santé du coeur de l’autre serait maintenant en symbiose avec le nôtre, qu’on apprendrait à s’excuser, mais surtout à pardonner. Ils ont oublié de nous dire qu’on pouvait avoir le shake lorsque l’autre partait de la maison trop longtemps, qu’on pouvait s’ennuyer après quelques heures d’absence, qu’on pouvait écouter de la musique très forte en chantant encore plus fort (et très mal).

Ils ont oublié de nous dire qu’on pouvait trouver un humain extraordinairement beau même au réveil, surtout au réveil. Qu’on pouvait se serrer fort au point de sentir ses vertèbres craquer, qu’on pouvait dire « Je t’aime gros comme ÇA » en écartant nos bras au maximum, même si la limite que nous impose notre corps ne rend jamais justice à la grandeur de l’amour que l’on ressent. Que notre sourire pouvait devenir parfait même si nos dents étaient croches. Ils ont oublié de nous dire qu’une banale balade en bus pouvait être prétexte à des conversations aussi profondes que les nids de poules de la métropole et que la lessive pouvait donner lieu à des têtes à têtes romantiques.

Ils ont oublié de nous dire qu’on deviendrait ceinture noire en karaté, qu’on saurait exactement où frapper pour que ça fasse mal, mais qu’on choisirait de danser la valse parce que ça se danse à deux et parce que c’est toujours beau de s’étourdir en duo. Ils ont oublié de nous dire que l’amour était composé des petits gestes du quotidien, de grimaces, d’eau chaude citronnée le matin, de tirage de cheveux et de main sur le genou lorsque ça va moins bien.

Ils ont surtout oublié de nous dire qu’il suffisait de se tenir debout contre tout, contre tous et parfois même contre nous.

« T’es important pour moi »

8365804080_e95cd7677c_z

Y’a des journées comme celles-là où tes yeux sont pris dans la peinture blanche et sale de ton appartement délavé. Des journées où tu tournes sur toi-même en essayant de trouver un point d’encrage alors que tout te donne mal au coeur, alors que tu te donnes mal au coeur. Des soirées où la remise en question de l’univers a décidé d’élire domicile fixe dans le quadrilatère de ton cerveau, des instants où tu ne sais pas, où tu ne sais plus.

Y’a aussi des minutes que tu passes devant ta fenêtre en regardant la neige déverser son plein de blancheur polluée et chimique; ça fait toujours un peu mal de réaliser que même le ciel est impur, que même le ciel est brisé, souillé, toxique. Pluie acide, neige acide. De l’acidité partout, en-dehors et en-dedans. Viennent les mois où ton âme se troue comme la couche d’ozone à cause de la pollution qui s’y est incrustée. Tu regardes l’eau de ton thé bouillir et tu te dis que t’aimerais ça pouvoir y enfouir tes problèmes pour qu’eux aussi s’évaporent.

T’oses pas trop en parler parce que t’as pas envie de ternir les couleurs des autres avec ton noir, parce que le noir avale toujours tout, un peu comme les trous qu’on trouve dans la galaxie, ceux qui aspirent la lumière. Fait que tu fais pas un son, t’entraînes ta face à dire « Ça va bien », et t’espères qu’avec la pratique, ça devienne une réalité. Mais ça reste toujours abstrait, faux, théorique. Le masque de la personne qui va bien s’enlève toujours lorsque tu rentres chez toi alors que tu ferais tout pour qu’il reste collé à ton âme.

Si t’es chanceux(se), t’es entouré(e) de personnes te connaissant assez bien pour savoir quand tes yeux mentent, pour savoir que ton sourire est plat même s’il fend ta face de gauche à droite; pour savoir que ton happiness s’est transformé en happy less. 

Mais tu le vois pas, ça. T’es tellement plein(e) d’ombres que t’arrives plus à filtrer, que tu ne vois plus leurs mains tendues. Plus ça va, plus t’as l’impression d’être seul(e) au monde, dans ton monde, et le monde qui s’est créé autours de toi n’est pas celui que tu espérais. T’as froid. Aussi froid que si tu marchais à l’ombre une journée d’hiver. T’as le glaçon pris au travers la gorge et en fondant, il te noie l’intérieur. Tu suffoques.

T’as l’impression que tous les fils qui te retiennent au monde se coupent, un par un. Le pire, c’est que tu n’as pas réellement envie que le monde s’arrête; t’as juste envie que ton monde à toi s’écroule, qu’il cesse de tourner sur lui-même, ou du moins, qu’il fasse la toupie moins rapidement. Tu veux juste une pause. Te mettre l’esprit dans le formol pour te conserver tout en pouvant t’en détacher un peu, juste le temps qu’il faut.

Tu ne sais plus trop la différence entre vivre et exister et t’as l’impression d’appartenir à la deuxième catégorie depuis trop longtemps. On peut reculer un film, une émission, une chanson, une page de livre, mais l’existence, non. En plus de ne pas pouvoir revenir en arrière, tu ne peux pas la suspendre momentanément. T’as l’impression qu’elle fait office de balançoire et que t’as pas le choix de t’asseoir dessus en permanence. Autre raison qui te donne le vertige et mal au coeur.

Mais ce serait dommage que la seule chose qu’il reste de ton crash soit la boîte noire dans laquelle étaient enfouies tes pensées. Sois un genre de commandant Piché, tiens-toi entre ciel et terre, sauve-toi. Sauve-toi même si t’as peur, même si t’es pris(e) dans les turbulences depuis longtemps, même si t’es pris(e) dans un nuage gris. Vole un peu plus haut et le soleil va réapparaître. Tu vas tout rafler : la médaille de la bravoure, du courage, de l’espoir. Pis t’inquiète pas, personne n’est à l’abris. « La vie est juste, car elle est injuste envers tout le monde. »

Je les ai tellement connus, les tournages en rond. Même les tournages en carré et en triangle. Les nuits à fixer le vide, à me dire que ça ne changerait rien si. Les instants à me questionner, à évaluer, à compter le nombre de personnes à qui je manquerais, à me répondre bof, à me dire qu’on finit toujours par s’habituer à l’absence de quelqu’un anyways.

Des soirées à boire et à fumer mon ressentiment, juste parce que je n’avais jamais demandé à exister dans ce monde-ci. Parce que je ne comprenais pas ce que je faisais, ici. Parce que j’avais l’impression que j’étais tombée du mauvais parachute sur la mauvaise planète. Pourquoi j’tais pas en train de danser sur les anneaux de Saturne? C’est vrai qu’il peut faire froid en esti par moments, des moments où t’as juste envie de te plonger le corps dans le cosmos pour aller dessiner des anges dans le firmament, des instants où t’as envie d’abandonner ton corps pour te regarder d’en haut. La vie c’est laid t’sais, mais ça peut être encore plus beau.

Même si tu crois que la fin de ton monde ne serait pas la fin du monde et que la terre ne cesserait pas de tourner, ça signerait la fin de plusieurs monde, car oui, t’es important(e) pour plusieurs personnes. Ne doute jamais de ça.

C’est vrai qu’on ne peut pas reculer, mais on peut avancer. Et il n’est jamais trop tard avant qu’il ne soit trop tard.

P.S : Si tu ne vois plus le soleil, téléphone là :

Association québécoise de prévention du suicide :  418 614-5909

Tel-Jeunes :  1-800-263-2266

Suicide Action Montréal :  514 723-4000

[ Crédit photo : Semaine de la prévention du suicide ]

Vivre au-dessus de ses moyens

fgcgcgvhvhhbhjb

« Un jour, on devrait avoir la paix. » On la dit souvent cette phrase, hen?

Quand ce n’est pas la facture d’université, c’est la passe de bus, quand ce n’est pas la passe de bus, ce sont les manuels scolaires, quand ce n’est pas ça, c’est le loyer, Visa, le cellulaire, l’épicerie.

« Welcome home », comme dirait l’autre. En effet, bienvenue dans la maison où tu n’as jamais la paix, où il y a toujours quelque chose. Cette maison, c’est le monde des responsabilités. Responsabilités auxquelles on échappe en vivant à crédit parce que le débit ne débite plus depuis longtemps. Crash le cash.

Que tu sois étudiant, salarié ou monoparentale importe peu. Personne n’y échappe. On n’a pas atteint le quart de siècle que c’est le nombre d’années que ça nous prendra rembourser ce que nous avons emprunté à plus grand que nous. On a l’emprunt facile et les banques sont tellement généreuses. Marge de crédit? Hypothèque? Prêt personnel? Je me souviens qu’à 14 ans, un conseiller financier avait dit à ma mère que nous pourrions regarder les prêts automobiles dans deux ans. « Un p’tit prêt de 2000$, ça peut toujours être utile pour l’achat d’une première voiture. » J’avais 14 ans! et déjà, j’étais conditionnée à vivre à crédit.

On se dit toujours qu’on a tout le temps du monde pour payer. La vérité, c’est que même si on veut le prendre, le temps, on ne l’a jamais moins que quand on doit quelque chose.

Vient le moment où la machine court plus vite que nous; le moment où les intérêts s’accumulent plus rapidement que nos 90 crédits universitaires. Vient parfois l’heure des choix. Le choix entre un domaine d’étude stimulant et enrichissant, mais qui n’offre pas de réels débouchés, ou un domaine qui ne te passionne pas vraiment, mais qui t’offre la stabilité d’un chèque de paie avant même que t’aies terminé tes études. Vient le moment des calculs. Le moment où tu relativises l’importance que pourrait prendre une carrière dans l’atteinte de ton bonheur. Si t’es chanceux, ta passion s’allie bien avec stabilité.

Si tu étudies en science politique, en arts visuels, en littérature, en photographie ou en philosophie, la stabilité tient de l’ordre du rêve. Confronté face à nos choix, il est parfois difficile de prendre une décision. Qu’est-ce qui est important? Être heureux en empruntant le chemin difficile ou se contenter de ne pas être malheureux? Se contenter de. Pendant que tu cogites et que tu mets ta vie sur pause, les factures ne ralentissent pas la cadence pour autant.

« C’est ça être étudiant ». C’est toujours ce qu’on me dit. Ensuite c’est : « C’est ça être adulte », pour ensuite devenir : « C’est ça être parent ». Au fond, on n’en sort jamais vraiment. On se rassure en se comparant. En regardant autour de nous, on réalise que nous sommes tous dans le même bateau. C’est presque rassurant, savoir que si on coule, on ne sera pas les seuls à se noyer. Mais l’angoisse du naufrage est terriblement suffocante. Parfois, ça t’empêche même de respirer. Comme dirait Manu : « La fin du mois est plus sombre qu’un gothique », et non, ce n’est pas toujours parce que tu vis au-dessus de tes moyens. Parfois, c’est la vie qui est au-dessus de tes moyens.

Parfois, c’est ta voiture qui décide de ne pas démarrer un matin d’hiver; parfois, c’est la personne avec laquelle tu avais confectionné et prévu d’élever un enfant qui décide de partir sans crier gare, du jour au lendemain sur la pointe des pieds, te laissant seul(e) face à une double responsabilité que tu n’as pas le choix d’assumer pour le restant de tes jours; souvent, c’est ton salaire qui n’augmente pas au même rythme que l’inflation.

De toute manière, est-ce vraiment humain de se contenter de survivre? De se priver? De ne jamais faire de sorties ou de se contenter de pâtes au beurre sous prétexte que « c’est ça la vie »? De se créer des problèmes de santé à long terme parce qu’un 2 litres de Pepsi coûte deux fois moins cher que 750ml de jus? Non ce n’est pas ça, la vie. Du moins, ce ne devrait pas être ça.

Nous sommes constamment stimulés par des publicités nous ventant les mérites de 5 compagnies de crédit différentes, de publicités alléchantes nous faisant miroiter le rêve d’un peu d’allègement avec leurs « 500$ en 24:00, sans enquête de crédit ». Mais le répit à un prix, et il est élevé.

À ce moment, c’est vrai qu’on a le choix. On l’a toujours, le choix. Mais quand t’es au bout du rouleau et que t’as pu rien pour t’essuyer, il se peut que tu en empruntes, du papier cul.

[ Crédit photo : Credit card par Wild Guru Larry ]

« On est responsable de ce que l’on aime »

1383282_1436475309912238_1895060935_n

Tu sais, ç’a été long nous deux. Pas si long que ça, mais long quand même pour des personnes qui savaient qu’elles s’aimaient.

Je suis assise à notre table de cuisine, celle qu’on a choisie ensemble, celle qui nous a fait sacrer, celle qu’on a voulu briser en miettes, mais celle qu’on aime tellement maintenant qu’elle se tient sur ses quatre pattes. Je suis là, et je pense à nous. Ouais, à nous. Je regarde à l’extérieur et j’ai envie de te dire que j’ai hâte que le soleil vienne rire à nouveau dans toutes les pièces de l’appartement. Il fait frette dehors, mes pieds sont toujours gelés quand j’entre à l’intérieur. T’es pu là pour souffler ta chaleur de bouche dessus pour me réchauffer, pour m’ensevelir sous les couvertures, pour me faire chauffer de l’eau, pour me forcer à aller prendre une douche brûlante en me répétant de me laver les cheveux « parce que la chaleur part de la tête ».

C’est normal, l’université est commencée, on travaille, on est occupé. On est un peu à cran ces derniers jours, on s’ajuste à tout ça, à ce plein de nouveauté qui inonde le gris de l’hiver, mais qui fait peur aussi. C’est beau tout ça, tu sais. C’est beau parce qu’on s’aime.

Parce que j’en n’ai pas souvent rencontré, des quelqu’uns comme toi. Ils l’étaient peut-être, mais ça fittait pas avec la quelqu’une que moi j’étais. Et c’t’important, trouver quelqu’un capable de fitter ses qualités, mais surtout, ses limites, avec les tiennes. C’est drôle, je nous regarde et je suis émue. J’suis émue de ce qu’on est, mon amour. On s’est jamais sauvé, toi et moi. Pour une fois, pour une maudite fois, j’ai pas ressenti le besoin de faire mon ange gardien ou d’en trouver un. Non. Par contre, on est devenu expert dans l’art de faire des ourlets sur les parties effilochées de notre coeur abimé.

La vie c’pas facile. Je dirais même que c’est difficile en s’il vous plait. Maudit qu’on s’en passerait parfois, mais on se passerait jamais de nous, de ce qu’on a, et surtout, de ce qu’on est. Même quand ça va moins bien, même quand on se tourne le dos, même quand on se décolle dans le lit. Même quand je te trouve con, même quand tu trouves que je suis une petite emmerdeuse. Même quand on se parle pas bien, quand on se tient tête; surtout quand on part à rire devant le ridicule de la chose. On s’aime pas juste parce que c’est beau, on s’aime aussi surtout parce qu’on s’abandonne pas même quand c’est laid.

Tu me juges jamais. Avec toi, je peux être moi. Ça semble quétaine, mais y’en n’a pas beaucoup, des personnes avec lesquelles on peut prétendre être vrai jusqu’au bout, sans jamais essayer de trouver un morceau d’ombre pour se cacher. Tu me laisses m’exposer en pleine lumière. On se prend tels que nous sommes. Avec qui d’autre pourrais-je crier « QU’ON LUI COUPE LA TÊTE À L’AUBE! » sur un air pseudo-français en faisait semblant de boire une coupe de vin rouge, hen? Avec qui, si c’pas avec toi.

Tu m’as pris le coeur avant de me prendre le corps, à coups de regards qui disaient « J’t’abandonnerai jamais, t’entends? Jamais ». Et ça, c’est la plus belle promesse sans paroles du monde, celle qui vient des yeux. On l’a compris, l’histoire du Petit Prince. « On est responsable de ce que l’on aime. » Chaque jour me confirme que je nous veux encore pour un jour de plus.

T’as pris le pari de me séduire chaque jour comme au premier, et c’est un défi que tu relèves haut la main depuis que nous sommes ensemble. Je souhaite à tout le monde de se faire aimer de cette façon-là. Hier, je t’ai acheté le café que tu aimes pour te faire plaisir; tu es arrivé à la maison avec les chocolatines que j’aime pour me faire plaisir. On ne s’était même pas consulté. On a le sourire heureux.

On prend soin l’un de l’autre quand ça va bien et quand ça va moins bien. Tu sors m’acheter des nouilles ramen lorsque je te demande de la soupe Lipton pour ma grippe, tu te coupes en coupant le pain et tu cuisines du tofu à rien, mais t’es toujours là pour aller me chercher un verre d’eau à 2h00 du matin, pour aller monter le chauffage à 2h10 du matin, et pour aller le redescendre à 2h15 car j’ai finalement trop chaud.

Tu me dis souvent, à la blague, que peu de personnes seraient capables d’être avec une personne comme moi, et j’te réponds toujours que t’as tord parce que j’ai jamais voulu te faire ce plaisir-là, celui d’acquiescer, même si t’as raison. Je te l’ai jamais dit, mais oui, t’es une des seules personnes à qui j’fais pas peur. Une des seules personnes qui me trouve pas « trop », qui n’a pas peur de mes rêves, qui n’a pas peur de me froisser, qui prend ma main pour m’aider à gravir la montagne que j’ai dessinée, aussi haute soit-elle. Une des seules personnes qui me trouve pas débile, qui me respecte et qui me comprend. Une des seules personnes ayant l’honnêteté et la franchise de me regarder dans le blanc-rougi des yeux en me disant : « Ça va être difficile, mais on va y arriver. »

J’y crois, tu sais. C’est peut-être une chimère, une idée adolescente, une naïveté qui s’est logée au creux de mon coeur pour effacer le trop plein de pas beau qui y était logé, c’est peut-être parce que j’ai fait de l’espoir mon leitmotiv, mais j’y crois. Malgré le risque, malgré le temps, malgré nous. Chaque fois que j’entre à la maison, j’ai hâte de voir ton visage et je récite tes yeux comme une prière inébranlable au coucher. La vie est courte, mais ce serait long sans toi.

Je t’aime.

Y’a-tu payé?

 5873730552_7c5b584640_z

Pas : « Avez-vous passé une belle soirée? », mais : « Y’a-tu payé? ». Honnêtement, les gars, je vous plains. Pour un paquet d’affaires, mais surtout pour celle-là. Comme si la valeur d’une soirée se résumait à la carte débit que vous aviez sortie pour vous et votre dateou non. Parce qu’on a beau se tremper le bras ben creux dans la chaudière féministe, ç’a l’air que pour des trucs comme ça, on l’est pas mal moins, féministes. Pis si le gars a le malheur d’être cassé ce mois-ci, ou que vous avez simplement fait le choix de payer chacun vos trucs, il perd pas mal de points aux yeux de tes amies. Parce que l’amour (ou du moins, l’intérêt), c’est clairement dépenser l’argent que t’as pas pour l’autre.

Si t’es étudiante, que ton chum l’est aussi, que vous avez des jobines d’étudiants et que par définition, vous avez une vie d’étudiants, surprends-toi pas que ton chum puisse pas t’amener au Reine Élizabeth la semaine prochaine. Il aimerait probablement ben ça, mais en ce moment, il n’a pas les moyens financiers de le faire. Mais guess what? Toi non plus tu ne les as pas, les moyens. Pis peut-être qu’il aimerait ça, lui aussi, que tu l’amènes au Reine Élizabeth. Je ne sais pas pourquoi on exige de l’autre ce que nous ne sommes pas en mesure d’offrir.

Ce texte est en réaction à un texte qu’une de mes amies m’a envoyé il y a une semaine. Elle l’a trouvé parfait, je l’ai trouvé débile. Vous pouvez le trouver juste ici : http://www.fteblog.com/celibataire/1ere-date-2-factures-come-on/

On y trouve de véritables perles telles que : « Ça m’est arrivé 3 fois et les 3 fois, les gars m’ont rappelée le lendemain… Comme s’il m’avait juste demandé une gomme la veille. Oh que non, t’as coulé le test, assez solidement d’ailleurs. » Honnêtement, si tu t’empêches de développer une relation potentiellement stimulante, enrichissante et épanouissante sous prétexte que le gars n’a pas payé le plat que t’es sûrement allée digérer aux toilettes deux heures plus tard (désolée, mais c’est ça quand même), tu le mérites, ton célibat. Haut la main, à part ça. Et bien franchement, c’est la meilleure chose qu’ils pouvaient faire, car tu leur as démontré que tu ne t’intéressais pas à qui ils étaient. En passant, pourquoi ce n’est pas toi qui as pris l’addition? J’demande ça comme ça.

On y trouve aussi : « Tu ne veux pas d’une fille avec une moustache qui sacre des beans plus meurtrières que les tiennes?!? » (Ai-je vraiment besoin d’ajouter quelque chose?)

Pis là, je suis pas en train de dire que ce n’est pas agréable de se faire payer un bon souper au restaurant ou une sortie quelconque. Ce l’est, agréable. Ce l’est même pas mal, agréable (que tu sois un gars ou une fille). Mais ça ne devrait jamais être une revendication, un « Je tiens pour acquis que tu vas payer pour deux chaque fois. »

Je peux comprendre que l’autre paie s’il (ou elle) en a, de l’argent, alors que toi t’en n’as pas vraiment, voire pas du tout. Et notez bien, je n’ai pas dit que le gars paie, mais bien que l’autre paie. Mais je ne comprends pas cette manie, voire cette obsession, à vouloir que le gars doive tout payer, tout le temps, et ce, même s’il travaille au salaire minimum chez Renaud-Bray, et qu’il a déjà de la misère à payer sa session universitaire en plus du loyer qu’il partage avec deux de ses amis, car il ne dispose justement pas assez de ressources financières pour vivre seul. Quoi qu’au fond, même si le gars n’est pas dans la misère, ça ne signifie pas qu’il doive dépenser son argent en drinks pour une fille qu’il n’est même pas certain de revoir. Quand tu rencontres quelqu’un, t’es censée chercher à apprécier le moment, pas décider du sort de celui-ci au moment crucial du : « Une addition s’il vous plaît » ou « Deux additions ».

Combien de fois je l’entends, le fameux : « Y’est super gentil, vraiment attentionné, il me plait vraiment, MAIS y’a pas vraiment d’argent … T’sais y’est encore à l’école … Y’est pas établi… » Eille fille. Fais-tu 150 000$ par année? L’as-tu, ton Condo? Non? Ah, ok. C’est à cause de ce genre de commentaires que les gars se mettent une pression énorme sur les épaules et se sentent émasculés.

Il faudrait cesser d’associer Prince Charmant à « Gros char, gros salaire, j’paie jamais rien pis si c’pas ça, que le gars mange de la marde ». Intéressons-nous aux gens pour vrai, pour ce qu’ils sont. Toutes les filles sont des princesses, oui. Mais la valeur d’un prince devrait résider dans sa manière de la traiter, sa princesse, que ce soit aussi anodin que lui demander comment a été sa journée, ou de l’écouter quand elle se sent moins bien; pas dans sa manière de sortir sa Visa toutes les semaines.

Ah, et payer pour deux lors de la première date n’est pas synonyme de galanterie; ce n’est pas son antonyme non plus. Ça n’a juste pas de lien (à mon avis).

Si j’avais claqué la porte chaque fois que j’ai payé ma part, je me serais privée de relations extraordinaires, et je serais passée à côté d’humains beaucoup plus intéressants que certains qui la payaient toujours, ma part.

[ Crédit photo : Cocktails par Kirti Poddar ]

La pression du temps des fêtes

2041880119_b89fdf38af_z

J’ai toujours entretenue une relation ambivalente avec le temps de fêtes. Si mon cœur s’imprègne un peu trop facilement des flocons de barbe à papa albinos qui descendent du ciel, des lumières quétaines et de l’odeur de sapin, mon cerveau, lui, a toujours eu le mais facile.

Le mais engendré par la pression de devoir acheter. Le temps des fêtes nous plonge dans une amnésie forcée, celle nous faisant oublier qu’on est étudiants (par exemple), et que notre solde bancaire est plus de l’ordre du plomb que de l’or. Celle nous faisant jusqu’à oublier que l’argent ne nous tombe pas dessus comme le verglas de 98. Quoi que plus souvent qu’autrement, nous sommes effectivement en panne de ce côté-là.

On se met une pression horrible à ne pas arriver chez maman les mains vides, parce qu’on a beau arriver la face pleine de sourire et d’enthousiasme, ce n’est pas ça qui fera pousser des exclamations de « OH MY GOD! WOW! MERCI! » à nos petits frères et sœurs. On angoisse, on invente des besoins qui n’existent pas réellement, et on se fait aller la carte de crédit un peu trop rapidement. On est tellement généreux avec l’argent qu’on n’a pas (en se plongeant volontairement dans le déni des trente jours pour rembourser). On veut faire plaisir à tout le monde, même à ceux dont on se fout dans les échanges de cadeaux. On veut être la personne cool qui va donner des trucs cool, et ce, même si on se met dans la merde pour le faire.

On s’épuise a faire notre magasinage-du-temps-des-fêtes avant la date butoir qu’on s’est fixé, et si l’échéance doit être reportée, on stresse encore plus, car ce serait vraiment bien que le cadeau de notre grande-tante (qu’on ne voie jamais) soit emballé avec le 15 décembre. C’est comme un marathon, sauf qu’il est loin de refléter une forme physique et mentale exemplaire, bien au contraire. Ça démontre surtout qu’on se fiche bien de la plupart de ces gens-là 364 jours par année, mais qu’on a décidé de se  faire croire qu’on ne s’en fichait pas durant une soirée.

Puis arrive le mois de janvier avec son relevé Visa…et sa facture d’université. C’est toujours à ce moment qu’on se demande si l’argent (qu’on n’avait pas) dépensé pour faire plaisir aux autres était réellement nécessaire.

Je parle des étudiants, car j’en fait partie, mais je pourrais ratisser bien plus large en englobant tous ceux ne l’étant pas, et ne pouvant tout simplement pas se permettre de s’allouer un budget dédié au temps des fêtes. Maudit que tu dois te sentir mal quand fiston ou fille te remet sa liste de souhaits, et que tu sais très bien que les souhaits resteront de l’ordre du souhait. Ouch. Tout ça parce que nous avons fait de Noël une source de stress et de consommation, plutôt que d’en faire une source de paix et de réconfort.

J’ai aussi le mais facile en ce qui a trait à la solitude que peut te faire ressentir ce temps de l’année si la seule personne avec qui tu partages ta vie est Netflix. T’sais quand t’as la bûche de Noël solitaire, quand les seuls yeux que tu regardes dans ta coupe de vin sont les tiens, et quand tu vois le temps des fêtes comme une autre (des trop nombreuses) occasion de te faire demander : « Pis? Quand est ce que tu nous présente quelqu’un là? » Quand tu soupires avec les yeux juste à y penser. La soirée qui te rappelle que t’as personne à embrasser sous la feuille de gui, et personne à qui dire « 2015 nous attend » à 23:59 entre deux coupes de champagne trop pleines le 31 décembre.

Je trouve ça beau, le temps des fêtes, mais je trouve ça ben laid aussi. Chaque fois, ça me rappelle que je n’ai (encore une fois) pas passé assez de temps avec ma famille au cours des 365 jours qui ont défilé depuis la dernière fois. Chaque fois, je me demande pourquoi on se donne des cadeaux inutiles – mais qui font plaisir, certes – au lieu de prendre la ferme résolution de se voir plus souvent. Pourquoi on dépense de l’argent qu’on n’a pas, au lieu de dépenser du temps? C’est vraiment quétaine, mais le temps ne s’achète pas dans un rush  pré-Noël, et sa valeur est d’autant plus grande. J’aimerais ça, moi, le prendre, le temps. Le prendre, et le partager avec les gens que j’aime (pas juste 2-3 fois par année).

Je préfèrerais, et de loin, ne pas avoir de cadeaux, mais voir mes parents une fois aux deux semaines, plutôt que de les voir une fois aux deux mois. J’aimerais qu’on s’enlève cette pression collective à vouloir jeter le faire plaisir dans un bassin éphémère qui s’évapore après une soirée, mais qui nous donne donc l’impression qu’on prend soin de ceux qu’on aime. J’aimerais qu’on se fasse plaisir pour vrai, à long terme, et sans pression. J’aimerais que mes grands-parents ne s’excusent plus jamais de ne pas pouvoir me donner plus que ça, alors que c’est moi qui devrais me sentir mal de ne pas prendre de leurs nouvelles plus que ça.

Un jour, j’espère que le temps des fêtes ne sera plus une occasion pour nous retrouver, car cela signifiera que nous aurons cessé de nous perdre.

Crédit photo : Cayusa 

Ceux qui courent

10540211596_3a119aa788_z

Voir les gens courir me calme. Ils courent tellement souvent sans raison que je me demande encore plus souvent ce qu’ils font lorsqu’il y a urgence. Ont-ils encore le souffle nécessaire pour se déployer le corps à coup de grandes enjambées vers l’avant lorsqu’ils sont pressés pour vrai?

Ils courent tout le temps. Le matin, pour se rendre au travail, et le soir, pour se rendre à la maison. Ils courent partout. Dans le métro, pour attraper le wagon, en traversant la rue sur une lumière jaune voulant pourtant dire « Ralentis », en allant chercher leurs enfants à la garderie. Ils courent même dans leur voiture.

Même lorsqu’ils sont assis, leurs pensées courent un sprint dans une projection future où ils sont déjà pressés de préparer le souper et de se rendre à leur cours de yoga. Être déjà pressés dans une réalité n’ayant même pas le mérite d’exister encore, ouin.

Lorsque je les vois, je m’arrête, je me fige et deviens une statue, même si je suis au milieu de la station Jean-Talon. Je me demande ce qu’il y a d’important au point de se foncer dans le corps sans s’excuser, sans se regarder, sans respirer. Ça m’agresse. Je les regarde s’époumoner la rationalité comme si leur vie dépendait du wagon qu’ils réussiraient à prendre, ou non. Même s’il y en a un deux minutes après.

J’ai juste envie de les secouer en leur disant « Arrêtez. Là, ça suffit. » Pendant ces moments, j’ai l’impression que ma propre vie ralentit en réaction à toute cette accélération. Mes mouvements décélèrent. J’espère presque manquer mon wagon pour me prouver une fois de plus qu’il n’y en a aucune, urgence. C’est sans compter ceux qui poursuivent leur course alors qu’ils voient clairement que les portes viennent de se fermer. Hm.

Je les trouve fascinants. Si au moins ils étaient pressés pour la vie, mais non. Ils sont pressés par la vie. J’essaie de comprendre. J’essaie encore. Je ne comprends pas. La majorité d’entre nous n’avons pas envie de nous rendre au boulot, alors pourquoi sommes-nous si pressés de nous y rendre? Pourquoi la personne âgée marchant avec une canne est perçue comme un obstacle à contourner?

C’est ça, l’existence? Courir un marathon? Partir tôt, revenir tard, devoir emplir, puis remplir, des obligations, être stressé par l’horloge de son cellulaire qu’on regarde aux deux minutes en espérant que le temps se fige et nous aide à ne pas arriver en retard on ne sait où? C’est vouloir se coucher tôt, mais se coucher tard, car c’est la seule possibilité qui s’offre a nous si l’on veut passer ne serait-ce qu’un peu de temps avec la personne aussi pressée que nous qui partage notre vie?

Nous mangeons vite, nous nous informons vite, nous faisons l’amour vite, nous vivons vite et nous mourons encore plus vite.

Nous avons le « Dépêche-toi » trop facile. Comme ces parents dans la salle d’attente disant à leur enfant « Vite, la madame t’a appelé. », « Laisse la fleur par terre on n’a pas le temps. » ou encore « Arrête de regarder le ciel, on est pressé. » Bien souvent, il n’y a rien qui presse. La seule chose de vite qu’il y a à faire est de nourrir son angoisse de ne pas réussir à faire tout ce qui est prévu au programme dans les temps. Nous aurions avantage à l’affamer, cette crainte irrationnelle de l’horaire prévu.

Nous sommes connectés ensemble le jour, le soir et la nuit. Nous nous parlons sur Facebook et via message texte, mais quand prenons-nous réellement le temps de nous voir et de nous consacrer un moment de « yeux dans les yeux et on se parle pour vrai »? Presque jamais. Je suis certaine que si on cumulait toutes les heures passées sur les réseaux sociaux qu’on perd chaque semaine, on pourrait passer des journées entières avec nos amis ou notre famille dans la « vraie » vie. Pourtant, on préfère se faire croire qu’on ne se voit pas car on n’a pas le temps.

Nous ne prenons plus le temps de prendre le temps. Nous ne prenons plus le temps de passer des moments ensemble, de manger sainement, d’être en santé, de lire, de se reposer, de s’amuser. Aujourd’hui, ne rien faire est perçu comme de la paresse, car il y a toujours quelque chose à faire, car le temps, c’est de l’argent. Nous ne nous donnons plus le temps d’éteindre notre cerveau, et ironiquement, il n’a pas probablement jamais été si peu allumé.

(Crédit photo : Thomas8047)

Le droit de dire non

11411518414_716ebacd90_c

Ça s’est produit il y a un an. Une de mes amies organisait une petite fête pour célébrer son nouveau Condo. Il y avait pas mal de monde, et surtout, pas mal de bouteilles de vin. Dans ce pas mal de monde, il y avait lui. Je ne le connaissais pas. Il est venu prendre place à mes côtés une fois la soirée bien entamée.

S’en sont suivies de belles discussions sur tout, et surtout sur rien. Nos yeux se plaisaient pas mal, mais malgré ça, et malgré les bulles du champagne qui me montaient à la tête, c’était clair comme le mot évidence : il ne se passerait rien entre nous ce soir. Peut-être une autre fois, mais pas ce soir. Je n’en avais pas envie. Le hic, c’est que lui, il en avait envie. Je l’ai repoussé gentiment toute la soirée. Quand c’est non, c’est non.

-Awaille… Pourquoi? J’pas de ton genre?

– C’est vraiment pas ça … Ça me tente juste pas.

– Ok …

Le Ok fut un peu moins ok lorsque je me suis réveillée le lendemain matin avec une de ses mains dans mes sous-vêtements et l’autre sur mes seins. Je me suis réveillée l’air bête, mais surtout, incertain. Qu’est-ce qui s’est passé fuck? J’étais peut-être pas toute là, mais je l’étais assez pour savoir que je lui ai dit non toute la soirée. Il a pogné le fixe, lui aussi, en se réveillant, et en réalisant ce qui était en train de se passer. J’suis désolé… J’voulais pas faire ça, j’me sens mal…

Faut croire qu’il ne s’était pas senti assez mal pour accepter que non n’avait pas voulu dire « essaie plus fort », « on verra », « peut-être », « je vais le faire quand même ». Pour lui, non avait juste voulu dire oui.

Sur le coup, j’ai trouvé ça banal. J’en ai parlé à personne. J’aurais dû comprendre que ce qui c’était passé était loin d’être correct lorsque je l’ai vu déguerpir à la hâte, alors que nous étions tous à table en train de déjeuner.

Les malheureux évènements que l’on apprend par les médias ces derniers-jours ont quelque chose de bien : ils nous encouragent à parler. C’est là que j’ai appris que je connaissais plus de filles ayant vécu un épisode d’agression au moins une fois dans leur vie, que le contraire. On n’en parlait pas, parce qu’on se disait qu’on n’avait quand même pas eu de couteau sous la gorge, qu’on n’avait pas été battues, et que, somme toute, on vivait avec. Vivre avec. On ne devrait jamais vivre avec ce genre de choses. Mais on veut encore moins vivre avec l’étiquette de la folle qui capote pour quelque chose de pas si pire que ça. Parce qu’à force de se faire dire que ce genre d’incidents ne l’est pas, si pire, on finit par le croire.

L’an dernier, je marchais en direction du métro, comme à tous les jours. Jusque-là, rien d’extraordinaire. Ou au contraire, si, rien de plus extra ordinaire. Avant d’entrer, un homme est passé derrière moi, et m’a empoigné le derrière à deux mains, avant de s’enfuir sur son vélo. Le temps que je réalise ce qui venait de se passer, il était déjà bien loin. Sur le coup, j’ai pensé aller faire une déposition. Cinq minutes plus tard, je me trouvais ridicule de déranger un policier pour un événement sans doute isolé, commis par un individu dont je n’avais même pas vu le visage. J’ai laissé faire, parce que t’sais. En y repensant aujourd’hui, je réalise que je n’étais peut-être pas la première à qui ça arrivait, et que si j’étais allée les voir, les policiers, ils m’auraient peut-être appris que j’étais la cinquième à venir les voir concernant le même incident, et qu’ils allaient faire surveiller les alentours. Mais je n’y suis pas allée.

Comme le dit si bien Patrick Lagacé dans sa dernière chronique, c’est vrai que dénoncer, c’est compliqué. Sans point d’interrogation. Toutes les filles s’étant déjà rendues dans un poste de quartier pour dénoncer savent à quel point ce l’est, compliqué. Parce que quand le policier te regarde derrière la vitre en te disant :

– Avec ce que tu nous dit là, si tu remplis un rapport, on envoie une auto-patrouille sur le champ, et il passe la nuit au poste, en plus d’aller séjourner en prison. Même si t’as pas de preuves, ça va être sa parole contre la tienne, et les procédures judiciaires vont s’enclencher immédiatement.

tu y penses deux fois plutôt qu’une avant de le faire, le rapport, et dans la majorité des cas, tu te dis que ça vaut pas la peine d’envoyer un gars en prison pour ça, en plus de la peur. Celle de ne pas être crue. Tu regardes ta mère, et tu lui dis exactement ce que Lagacé a écrit : Fuck that. Parce qu’encore une fois, tu te demandes si ses menaces de mort étaient fondées, si son harcèlement était si pire que ça, si son appropriation de ton corps était si pire que ça cette soirée-là, etc. En fait, c’est comme s’il n’y avait jamais de raisons assez bonnes pour ne pas se dire fuck that.

Mais oui. Ce devrait être Fuck that à toutes les fois où on se le dit. Et là, on parle d’agressions sexuelles, mais ça ratisse tellement plus large que ça. Aborder une fille dans la rue en lui disant qu’elle est dont chaude hé hé hé ou entretenir une conversation avec une inconnue qui est coincée dans le wagon de métro avec vous, alors qu’elle vous a clairement faire savoir après deux phrases qu’elle avait un copain, et qu’elle n’était pas intéressée, ça fait aussi parti du NON. Parce que quand tu lui dis des choses comme J’peux te laisser mon numéro quand même, on sait jamais. Peut-être que ça fonctionnera pas toi et lui hé hé hé, c’est agressant. Oui, oui. Agressant.

Il y a une énorme différence entre complimenter quelqu’un, et l’agresser. Dans le premier cas : Je voulais simplement te dire que je te trouve très jolie. Passe une belle journée. Dans le deuxième : Beau p’tit cul en tout cas! Le premier fait plaisir, le deuxième dégoûte. Parce que même si je suis loin de connaître toutes les filles, on semble toutes s’entendre pour détester se faire aborder par des commentaires machos et déplacés. Et ça vaut aussi pour le sifflage, en. On siffle les chiens, pas les femmes.

On le dit tout le temps, mais semblerait que ce ne soit pas assez, alors répétons encore une fois: se maquiller ne veut pas dire oui, s’habiller de façon sexy ne veut pas dire oui, porter un costume d’infirmière dans un party d’Halloween ne veut pas dire oui, porter des bas de nylon ne veut pas dire oui, sourire ne veut pas dire oui, être saoule ne veut pas dire oui, dormir ne veut pas dire oui. Il n’y a que OUI qui veut dire OUI.

Parce que même si c’est ton copain, t’as le droit de dire non. Sans les excuses de j’ai-mal-à-la-tête/j’ai-eu-une-grosse-journée/je-suis-SPM/dans-ma-semaine. Juste un non j’ai pas envie ce soir, et j’aurai peut-être pas envie demain non plus.

N’oublies jamais. Ton corps, tes règles.

Comment réagiriez-vous si c’était votre sœur, votre copine ou votre mère qui vous apprenait avoir subit quelque chose de la sorte? Vous auriez probablement envie de tuer l’écoeurant de chien sale qui lui a fait ça, non? C’est ce que je pensais.

[Crédit photo : End Rape Culture par  Melissa-Brewer]

Profession : infirmière

Cela fera bientôt trois années que je travaille au sein d’un établissement de soins de santé et cela a fait trois années que je posais mes fesses au collège Montmorency afin d’apprendre les rudiments du métier d’infirmière. Trois années qui ont avorté au bout d’une année, pour la seule et unique raison que j’ai réalisé assez vite que ce n’était pas le genre de défis qui me correspondait.

Parce que pour être infirmière, il faut faire plus qu’aimer l’idée de l’être, il faut être l’idée elle-même. Parce qu’être infirmière, c’est difficile. Imaginez travailler dans un milieu comme celui-là, milieu dans lequel vous devez côtoyer la maladie et la mort, à chaque jour. Milieu duquel vous sortez le soir avec autre chose qu’un sourire dans le visage trop souvent, mais milieu dans lequel vous restez tout de même parce que vous préférez faire une différence dans la vie de gens en ayant besoin. Votre sourire, vous préférez leur donner plutôt que de le garder pour vous.

Être infirmière, c’est devoir arriver trente minutes plus tôt que le début de ton quart de travail pour assister à la table ronde de l’équipe précédente, afin d’avoir un compte-rendu de ce qui s’est passé durant les huit dernières heures sur le département. Trente minutes durant lesquelles tu n’es pas payée, mais trente minutes que tu prends tout de même, car il en va du bon déroulement de ta journée et surtout, de celle de tes patients.

Être infirmière, c’est bien souvent être contrainte de travailler une fin de semaine sur deux et ce, même si tu cumules les années de service. C’est devoir t’adapter à tous les quarts de travail. Jour, soir, nuit. C’est faire du temps supplémentaire obligatoire. C’est travailler entre sept et dix nuits en ligne lorsque tu travailles de nuit. C’est parfois (souvent) ne pas pouvoir prendre ta pause ou devoir écourter ton heure de dîner, parce qu’un imprévu vient d’arriver. Quand t’es infirmière, tu donnes ton temps sans le compter et surtout, sans chercher à le reprendre.

C’est aussi annuler un souper qui était prévu depuis un certain moment, car la personne qui devait te remplacer n’est pas entrée et que personne n’a été trouvé pour prendre ta place. Tu pourrais dire non, mais entre un souper ou le bien-être d’un patient, tu fais souvent le choix de faire passer ton plaisir en deuxième.

Être infirmière, c’est aussi faire un travail de médecin, le salaire en moins. Parce qu’on ne va pas se leurrer, là. Ce sont les infirmières qui s’occupent des soins au patient alors que le médecin entre dans la chambre pour évaluer sa condition (au patient) et sort après deux minutes. Soit, je ne voudrais surtout pas que mes mots soient mal interprétés. Je ne dis pas que les médecins ne font rien, bien au contraire. Mais, en ce qui à trait à tout le protocole durant le séjour à l’hospit, c’est l’infirmière qui s’en occupe.

C’est être la personne de première ligne lorsque les gens arrivent en panique à l’urgence. C’est savoir rassurer, écouter et comprendre. C’est apprendre à être travailleuse sociale, psychologue et maman, car elle peut aussi être la personne qui devient ta deuxième famille lorsque tu séjournes longtemps à l’hôpital. C’est celle que tu vois le matin, celle qui passe la journée avec toi. Celle que tu peux appeler quand tu te sens moins bien. Celle qui est là.

Elles ne font pas ce qu’elles peuvent avec ce qu’elles ont. Elles font du mieux qu’elles peuvent, avec ce qu’elles ont. Malgré les coupures budgétaires, les coupures de personnel, les coupures de tout, le service qu’elles rendent ne l’est jamais, coupé. Elles ont les oreilles assez agiles pour t’écouter quand ton cœur a mal et les mains assez habiles pour te sauver la vie quand ton cœur flanche d’une autre manière.

Les infirmières n’ont pas droit à l’erreur. Elles ne travaillent pas avec Word ou Excel. Il n’y en n’a pas, de backspace, lorsqu’elles se trompent. Et quand elles se trompent, ça peut être pas mal grave. Elles n’ont pas le droit d’être humaine.

Elles entendent des bip bip des heures durant. Et pas des bip bip réguliers, pas le genre de bip qui te donnent un break à intervalles. Non. Des bip pas synchronisés du tout, ceci faisant en sorte que le silence, elles ne l’entendent jamais (le tout combiné avec des hurlements d’enfants). De quoi rendre n’importe qui cinglé.

Être infirmière, c’est l’être même quand tu n’es plus au travail, parce que tout le monde te demande toujours des conseils, en plus de te téléphoner avec inquiétude lorsqu’une fièvre dure un peu trop longtemps ou qu’une toux s’éternise. C’est recevoir des messages Facebook de ta cousine enceinte, car elle sait que t’as les réponses aux mille questions qu’elle se pose. Le pire, c’est que ça te fait encore une fois plaisir de répondre à tout ce beau monde, car ce sont dans ces moments-là que tu te sens vraiment utile. Reste que, tes instants de répits sont plutôt rares.

Et, malgré tout ça, elles considèrent toujours leur profession comme étant la plus belle du monde.

On ne vous remercie pas assez, alors merci. Merci d’être là, 24|7. D’être là à Noël, au jour de l’an, à la veille du jour de l’an, à votre anniversaire, bref merci d’être là tout le temps. Je ne sais vraiment pas ce qu’on ferait sans vous et je considère qu’on ne vous rappelle pas (et qu’on ne se rappelle pas) assez souvent à quel point vous êtes essentielles. Et, surtout, je trouve qu’on ne vous demande pas assez souvent comment vous, vous allez, sur une échelle de 1 à 10.

Les amours croches

Ceux qui sont aussi croches que le plan de tomates que tu t’entêtes à faire pousser avec un tuteur, sachant très bien qu’il ne deviendra jamais droit. Pour la seule et unique raison qu’il ne l’a jamais été, droit. Il a été planté croche et a poussé encore plus croche. T’auras beau le gaver d’engrais, rien de fertile va sortir de ces racines-là.

L’amour croche, c’était l’histoire de ma vie. La fleur qui réussissait à pousser à travers la craque de ciment, c’était moi aussi. Puis je sais que ça peut être toi aussi. Et c’est pour ça que t’essaies toujours de chercher quelqu’un avec qui planter un jardin au milieu du béton. Même si y’a pas de terre. Un jardin de roses. Même si seules les tiges pleines d’épines réussissent à pousser. Même si la fleur, elle ne sort jamais.

Des raisons, il y en a un million. Plus souvent qu’autrement, c’t’une histoire de père, t’sais. Absent ou trop présent. Trop présent de la mauvaise façon. Une histoire de vie qui a été brisée y’a ben longtemps, mais pas assez longtemps pour que t’aies pu te réparer. La vie ne sera jamais assez longue pour ça. Jusqu’à temps que tu rencontres celui qui va recoller tous tes morceaux en te regardant. En te disant qu’il ne te laissera jamais tomber (je t’aime).

Ça peut être long. Tellement long que le pattern devient une normalité, une habitude. T’es toujours attirée envers les personnes encore plus brisées que toi. T’as l’impression qu’en essayant de les ressouder, ça te ressoude un peu toi aussi. Mais non. Parce que ces gens-là font juste prendre les cent morceaux de ton casse-tête et les transforment en mille morceaux. Ils transforment ton casse-tête en casse-cœur et en plus, il est maintenant en 3D. Tu galères à la seule idée de devoir former le contour. Alors imagine l’intérieur. C’est encore plus difficile qu’avant. Les pièces ne s’emboîtent jamais comme il faut, ça tombe, c’est toujours à recommencer. Tu te tannes, tu le mets dans le coin de ta chambre et tu te dis Plus tard.

Ces situations-là, je les ai vécues. Non sans gêne et sans questionnements. Pourquoi? Pourquoi je suis revenue après la soirée où il m’a fait attendre pieds nus dans la neige et le froid hivernal? Quand il m’a lancé un verre d’eau dans le visage en prenant soin de me spécifier que C’pas si grave que ça. C’pas comme s’il était plein. Quand il m’a entrée dans un mur, quand il m’hurlait dessus, quand il a détruit mes bottes favorites. J’aimais ça? Non. Je ne voulais juste pas l’abandonner. Je ne voulais pas être comme les autres. Je voulais qu’avec moi ça fonctionne. Je voulais qu’on soit plus forts que le passé. Parce que je me demandais si c’était si grave que ça. Parce que j’avais déjà entendu des histoires bien pires que celle-là.  Parce que je voulais le sauver. Même si j’étais en train de me noyer à force de nager pour deux. Même s’il me poussait toujours dans des vagues plus grandes que moi au lieu de m’aider à atteindre le bord de la rive.

On ne veut pas s’en rendre compte. On se dit que c’est passager, que c’est isolé. Jusqu’au moment où l’isolation sorte de la chambre et contamine, affecte et infecte tout le reste. Parce que dès la première fois, il est déjà trop tard. Même si les beaux moments le sont plus que le mot lui-même. Même si t’as jamais l’impression de te sentir aussi bien que le moment où tes yeux plongent dans les siens entre les deux puff d’un joint fumé dans un sous-sol sombre d’Hochelaga. Parce que dans ces moments-là, le sous-sol n’existe pas et Hochelaga non plus. Même la voix de ta conscience disparaît. Rien n’existe à part toi et lui. T’as vraiment l’impression d’être amoureuse et encore une fois, tu ne réussies pas à te rappeler à quel point il a pu te blesser. La seule chose que tu sais, c’est qu’il l’a fait. Mais la douleur du pincement, tu ne t’en souviens plus.  Jusqu’à la prochaine fois.

Jusqu’aux prochaines cinq minutes. Car avec ces personnes-là, tu ne sais jamais quand la grenade va exploser. Et parfois, la bombe saute pour vrai. Tasse-toi de là pendant qu’il est encore temps.

Tu te demandes si t’es faible, si t’es lâche. T’en viens même à te demander si t’es sado-maso alors qu’en fait, t’es juste une fille qui vit d’espoir. Qui le voit partout, le peut-être que. Naïve, mais pas conne. T’es juste quelqu’un qui a une (trop) grande capacité à voir le bon chez les autres, même quand eux ne le voient pas. Même quand ils ne veulent pas conjuguer le leur au tien. Alors même si l’autre n’est pas foncièrement gentil, tu te dis qu’il n’est pas foncièrement méchant et que l’amour arrange toujours tout.

Mais l’amour est loin de tout arranger dans ces cas-là. T’as beau te planter les mains dans la terre, tu ne pourras jamais aller assez creux pour régler la source du problème. Pour découvrir qu’à la base, un millier de fourmis rongent ce que t’essaies de faire pousser.

Embaumer ses souvenirs

Parfois, t’as juste pas le choix. Ce qui est bien, c’est que tu n’as pas besoin de t’infliger la technique en thanatologie qui dure trois ans. Quoi que, oui. Ça peut être long comme ça. Prendre son souvenir et le déposséder, le vider, le disséquer, pour qu’il n’en reste que l’enveloppe, c’est loin d’être évident. Faire sortir tout ce qui le compose, tout ce qui est en-dedans, ça demande de l’expertise. Et là, je ne parle même pas de l’enterrement. Du moment où tu donnes ton premier coup de pelle pour creuser le trou qui l’enfouira à jamais.

À l’image des organes qui composent le corps et qu’on retire au moment du dernier salut, ce sont les émotions que tu vas devoir déloger du souvenir que ta mémoire a créé. Parce que ça te fait mal pour rien. Parce que c’est comme si on laissait un cœur dans un corps mort en espérant qu’il se remette à battre. Et ça bien, ça n’arrive jamais. Tenter de faire revivre une histoire au travers un souvenir passé, ça ne fonctionnera jamais non plus.

Je sais, c’est triste. Mais as-tu déjà vu des gens heureux dans des funérailles? Moi non plus. Ça fait partie de la vie. C’est un moment à passer, mais surtout, à accepter. Laisse les couler tes larmes.

T’as le droit de te demander pourquoi. Tu ne l’as jamais venu venir. Le 18 roues est juste passé au mauvais moment et a tout emporté avec lui. Il ne reste plus rien. Parce que oui, la perte d’un amour, c’est comme un deuil. Le deuil d’une personne encore en vie. Un deuil doublé d’espoir. Ça fait tellement mal.

La mémoire est insidieuse, tu sais. Elle a cette capacité extraordinairement sale à ne se rappeler que des bons moments. Mais ce n’était pas que des bons moments. C’est comme vivre dans le déni en disant J’comprends pas qu’il soit mort. Pourtant, il était en santé. alors que l’autre était aux prises avec un cancer généralisé depuis des années. Un cancer qui l’a grugé, car y’a pas voulu prendre la médication qui lui était prescrite. Il voulait voir jusqu’où il tufferait. Pis y’est mort. C’est un peu la même chose. La vérité, c’est que ça allait pu si bien depuis quelques temps. Mais tu voulais voir jusqu’à quel point vous étiez forts. Tu le sais maintenant.

C’était à ce point là.

Un souvenir, c’est un peu comme un défunt qu’on regarde dans son cercueil jusqu’à temps que le couvercle de la boîte se referme. C’est le passé sur qui on pleure en lui apportant des fleurs très souvent, question de l’embellir encore plus. Au début, tu vas aller en porter de nouvelles à chaque semaine. Puis, les semaines vont devenir des deux semaines, pour devenir des mois puis viendra le moment où tu ne visiteras plus jamais ce souvenir là. Je te jure que viendra un moment où tu n’iras plus la voir, sa page Facebook, où tu ne regarderas plus ton cellulaire en espérant voir son nom s’y afficher.

Tu vas être capable de le laisser aller. Tu vas le laisser là où il doit être, en arrière. Incinère-le. Tu vas pouvoir renaître de tes cendres. Comme un Phoenix.

14 ans

Il est 16h00. La chaleur tiède annonce l’automne qui approche. Je me dirige vers le métro. Devant moi, quatre jeunes filles. À leur allure, elles viennent de terminer l’école. Elles ont quatorze ans, maximum quinze. Leur sujet de conversation principal? Les garçons, évidemment. Elles prononcent le mot « genre » aux deux secondes, ce qui devrait m’arracher des soupirs d’exaspération. Pourtant, ce n’est pas le cas. Probablement car ce moment n’est pas un moment ordinaire. En ce moment, je suis dix ans en arrière, sur la rue d’Aragon. En ce moment, c’est moi qui a 14 ans et qui revient de l’école avec mes amis.

14 ans et les party de sous-sol chez Annie-Claude. Assis en rond, dans la cave, des Poppers  bleus qu’on buvait en trop grande quantité. L’alcool cheap qu’on avait réussi à avoir car un de nos amis connaissaient le caissier du dep’ vert au coin de la rue. Le temps où on mentait à nos parents, prétextant des sleepover sans garçons, bien entendu. La bande qui se déplaçait parfois au salon où il y avait toujours un smath pour mettre une reprise de Bleu Nuit. Des rires gênés, des rires qui trouvaient ça dégeux, des rires et des yeux au plafond qui voulaient dire « T’es cave ». Des partys, il y en avait eu jusqu’au matin où Annie-Claude avait trouvé son père raide mort sur le plancher de sa chambre par un matin d’hiver. Elle n’est pas venue à l’école cette semaine là. Y’a plus jamais eu de party ensuite.

14 ans et les baignades précoces quand l’eau de la piscine était à 68. Quand c’était clairement plus le printemps que l’été, mais qu’on s’en fichait. 14 ans et les rides en skate ou en BMX jusqu’à tard. Les genoux écorchés, la gueule en sang, mais ça non plus c’tait pas grave. Cet âge là et le Blink 182 trop fort dans notre lecteur CD, les cotons ouatés Blind, les souliers Osiris. Le skateshop qui vendait toujours tout trop cher (et qui vend encore tout trop cher). Oui mais m’man, je les veux VRAIMENT ces souliers de skate là. Sttttttttp…

14 ans et la couette que je me faisais à la hâte le matin, 14 ans et les pantalons bleu à carreaux que je mettais tout le temps, surtout en compagnie de ma mère, qui les trouvait tellement, mais tellement laids. Je me rappelle que je faisais exprès de les mettre lorsqu’elle m’amenait à la Place Rosemère pour m’acheter du vrai linge de fille.

C’était l’époque où on pouvait passer une journée entière derrière notre écran d’ordinateur à espérer que ««!! GuiiLl@uM£ !! Ki veut fairrrrre de koi à soir!? (B) > » se connecte sur MSN. C’était avoir la patate qui manquait d’exploser chaque fois que le bruit si caractéristique se faisait entendre. Et c’était surtout le moment où même si ça faisait 100 siècles qu’on espérait que ««!! GuiiLl@uM£ !! Ki veut fairrrrre de koi à soir!? (B) > » se connecte, on ne faisait strictement rien lorsqu’il était enfin en ligne. On attendait (encore).

C’était aussi l’époque où tu pouvais actualiser ta page Hotmail (à laquelle était souvent associée une adresse douteuse) 50 fois pour voir si ce fameux ««!! GuiiLl@uM£ !! Ki veut fairrrrre de koi à soir!? (B) > » t’avais envoyé un courriel. J’ai l’impression qu’on avait la patience plus facile dans ce temps-là. Dieu sait que ça pouvait prendre des heures. Mais au lieu d’être frustré, on était excité. On avait le refresh léger et le cœur aussi. Quand l’autre ne nous répondait pas, on faisait autre chose. T’sais, ce qu’on ne fait plus dans la vingtaine. Parce qu’aujourd’hui, c’est sûr que si la personne au bout du cellulaire ne répond pas dans la minute, c’est qu’elle est en train de se faire baiser par quelqu’un d’autre. Logique de même.

14 ans et correspondre par la poste avec Chloé de Brossard qui aimait les chiens, le magasinage et Gilmore Girls. Chloé, qui avait publié une annonce dans Cool ou Filles d’aujourd’hui. C’était être déçue par le cossin cheap qui venait avec la revue chaque mois et étouffer son mur avec des affiches de J-Lo ou de Christina Aguilera. C’était attendre le numéro « spécial tests » toute l’année.

14 ans et demi et la couette qui se transformait en cheveux qu’on prenait le temps d’aplatir, une fois de temps en temps. L’âge où il nous arrivait maintenant de troquer nos cotons ouatés de gars trop grands pour un chandail plus ajusté, où on troquait nos paires de pantalons à carreaux pour une jupe en jeans, avec des leggins en dessous. L’âge où t’avais lu un paquet de récits désastreux sur le premier french. Où tu te pratiquais sur ta main, où tu pensais que tu frenchrais jamais, en fait. Parce que t’sais.

14 ans et la première fois que tu te mettais du fond de teint cheap parce qu’on avait réussi à te faire croire que ça te prenait ça pour être belle. 14 ans et tes premiers questionnements sur la sexualité. L’âge où tu te demandais si t’étais normale, car contrairement à tes amies, t’avais pas encore tes règles. L’âge oh! combien naïf où t’avais dont hâte de les avoir, tes règles. C’est probablement la seule fois où t’auras eu hâte, lol. 14 ans et l’intérieur qui te chatouillait lorsque tu te rendais à ton cours de chimie. Quand ta paire d’yeux cherchait la sienne durant tout le cours. Quand tu apprécierais ses taquineries plus que n’importe quel compliment.

C’était aussi l’âge du courage. Celle où t’étais capable de regarder un gars dans les yeux en lui disant « Je suis désolée, mais je ne t’aime pas de cette façon là … » même s’il pleurait, même si tu ne voulais pas lui faire de peine. Tu savais que c’était la bonne chose à faire. Il n’y avait pas de game.

14 ans avant. 23 ans aujourd’hui. Étrangement, je me rends compte que plus ça change, plus c’est pareil. Je m’habille encore en gars, j’ai encore des papillons dans le ventre quand mes yeux cherchent les siens, je me fais encore souvent une vieille couette sul’top de la tête parce que j’ai autre chose à faire que m’aplatir le toupet, j’aime encore faire des tests dans des revues, mon fond de teint cheap s’est transformé en fond de teint à 60$ parce qu’on réussit encore à me faire croire que ça me rend plus belle pis je me pète encore la gueule solidement en vélo à chaque année.

On grandit, mais on ne vieillit pas.

Quand l’amour s’en va.

L’amour s’en va lorsque tu commences à verrouiller la porte de la salle de bain quand tu vas prendre ta douche. Quand trop c’est comme pas assez et que là, il y a trop de pas assez. Quand tu cumules les soupers à l’extérieur, quand t’as hâte d’aller travailler et quand vos seules activités se résument à aller au gym ou faire l’épicerie.

L’amour s’en va quand tu vas te coucher le soir et que tu y vas vraiment pour dormir. Quand faire l’amour relève maintenant d’une tâche à faire et non plus d’un désir ressentit voulant être partagé. Quand tu comptes les jours depuis la dernière fois en te disant Ouin, faudrait le faire là … Quand t’as l’impression de devoir le faire, mais pas de vouloir le faire.

L’amour nous quitte quand on commence à faire trop de ménage tout le temps. Lorsqu’on plie, déplie et replie les vêtements (les mêmes vêtements). Lorsqu’on s’assoie chacun sur notre divan en écoutant les reprises d’Un souper presque parfait pour s’empêcher de réaliser à quel point on n’a plus rien à se dire et à quel point notre relation est loin d’être presque parfaite. Mettons qu’on se donnerait pas un 8/10.

Ironiquement, l’amour s’en va lorsqu’un des deux commence à se dire que l’autre ne partira jamais. Il s’en va quand la seule chose qui vous lie encore est la peur de l’inconnu. Il s’en va de plus en plus quand vous vous regardez avec cette petite moue qui ne veut rien dire d’autre que Ouin, je sais. C’est poche en? assortie à un petit haussement d’épaules.

Il nous quitte quand on commence à mettre un pyjama la nuit alors qu’on n’en mettait jamais avant, quand le lit king devient trop petit et quand on n’attend plus l’autre pour s’y rendre.

Il nous quitte quand on ne cuisine plus, mais qu’on ne va pas au restaurant. Quand on mange juste des restants. Quand c’est tout ce qu’il reste, des restants. Des restants de bouffe, pis des restants d’émotions aussi. C’est quand on ne s’écrit plus de lettres et de moins en moins de textos. Quand on ne s’écrit même plus de cartes à nos anniversaires, plus de bons matins et qu’on ne s’envoie plus de photos coquines qui veulent dire J’ai hâte que t’arrives. En fait, c’est ne plus avoir hâte que l’autre arrive à la maison. C’est ne plus avoir hâte d’arriver à la maison point.

C’est quand t’as l’impression que la seule branche du triangle de Sternberg qu’il vous reste est celle de l’engagement.

C’est quand ta relation est rendue à l’image de la crème glacée Häagen-Dazs saveur pâte à biscuits. T’en manges, t’en manges. T’as besoin de ta dose tous les jours, tu te tannes pas. Jusqu’à temps que tu te tannes. Jusqu’à temps que t’aies mal au cœur juste à regarder le pot. Quand tu te dis que tu devrais peut-être changer de sorte, parce que celle au chocolat te fait de l’œil et que t’es soudainement tentée de te plonger dedans, toi qui n’y avait jamais porté attention avant …

L’amour s’en va quand t’as envie de tenir un round de plus juste parce que t’aimes pas l’idée d’être celle-qui-abandonne-devant-les-obstacles-comme-tous-les-gens-de-sa-génération, mais qu’au fond de toi, t’as juste envie de sortir du ring parce que t’es écoeurée.

C’est quand t’as l’impression que votre relation est comme un métro en panne. Pis qu’est-ce qu’on fait dans ce temps là? On attend. On se dit que ça va repartir, mais on ne sait pas quand. Puis plus tu utilises le métro, plus tu réalises à quel point il brise souvent. Même les sacrifices deviennent à l’image des tarifs : ils augmentent. Pour rien. Pour rien, car le service n’est pas meilleur qu’avant.

Puis vient le moment où tu réalises que l’amour est parti au moment où tu t’es demandé s’il était encore là.

Le retour à l’école et le droit de prendre son temps

Dans un monde où on nous demande ce qu’on veut faire quand on sera adulte avant même qu’on ait perdu notre dernière dent de bébé, il est important de se donner le droit de ne pas savoir. De répondre ” Je sais pas ” sans en avoir honte.

C’est correct de ne pas avoir une collection de PhD en guise de tapisserie de chambre à 25 ans. Et à 35, et à 45.

C’est correct de faire 4 programmes au cégep parce que t’es pas sûr(e). T’as le droit de prendre ton temps. T’as le droit de changer d’idée. T’as même le droit de ne pas y aller, au cégep, si tu sais que tu peux faire autre chose.

C’est correct d’étudier en littérature, en musique ou en cinéma. Ce l’est tellement, correct, même si les gens préfèrent te dire ” Eh boy bonne chance pour te trouver une job après EN! ” au lieu de ” Bravo t’as du courage de t’écouter à ce point là “. Au lieu de ” Moi aussi j’avais des passions avant, mais j’ai préféré la sécurité. “

C’est correct d’être perdu(e). Tu vas ben finir par te trouver.

T’as le droit d’envoyer chier ceux qui te disent que t’es pas sérieux(se) et ceux qui te répètent à toutes les semaines que ” Tu devrais te brancher, EN “. T’es pas stupide. Si tu le savais, tu le ferais, mais en ce moment, tu le sais juste pas.

C’est correct de ne pas vouloir ressembler à certaines personnes que tu connais. À ceux qui les ont, les diplômes, la grosse job, le gros char et la grosse baraque. À ceux qui ont l’apparence qui flash, mais qui te disent que le lundi leur donne mal au cœur et qu’ils vivent toujours dans l’attente du prochain congé dès qu’ils ont un peu trop bu. Ceux qui comptent les jours avant leur retraite. Ceux qui n’aiment pas leur présent et espèrent un futur meilleur, sans garantie qu’il le sera, puisqu’ils ne veulent pas prendre de risques. Ceux qui attendent. Ceux qui, dans ces moments de ” L’alcool me donne envie d’être honnête à soir “, te disent ” On a beau te dire ce qu’on veut, prend le, le temps. Y’a rien qui presse. Crois moi …

T’as le droit de prendre off de l’université pour voyager, pour travailler ou juste pour faire autre chose. Pour prendre un temps d’arrêt. Ça fait du bien quand t’as l’impression que ça va trop vite. T’as le droit de respirer sans hyper ventiler, de marcher au lieu de courir le marathon. Ça fait pas de toi quelqu’un de paresseux (même si un shitload de gens vont essayer de te faire croire le contraire). Anyway, on va tous finir au même fil d’arrivée. Pourquoi se presser?  Pourquoi arriver vidé et épuisé? Surtout si c’pas ça que tu veux …

Faut cesser de faire l’erreur de se plonger dans une vie de ” Ma vie est correcte, c’pas SI PIRE que ça “. Parce que si ça pourrait être pire, dis toi que ça pourrait sûrement être mieux aussi. Comme me l’a dit un certain quelqu’un, « Notre but c’pu d’être heureux. C’est juste de pas être malheureux. Mais t’sais, on est beau pareil. »

C’est correct de rêver. Quand t’es un enfant et que t’as des rêves, t’es normal. Quand t’es devenu(e) adulte et que tu les as encore, on te dit que t’es ” un rêveur ” sur un p’tit ton moqueur comme si c’tait moins correct qu’avant. Comme s’il était temps que tu te fasses embarquer par le 9 à 5 et les deux semaines de congé par année.

Nous devons mettre une foule de choses de côté au courant de notre existence, on doit faire des choix. Mais faire le choix de cesser de rêver et cesser de croire qu’on peut changer quelque chose ici bas pour entrer dans l’engrenage, ça devrait être non. Il ne faut pas faire cette erreur là. Il faut arrêter de la faire. Cesser de se contenter d’une fritte sans sel ou d’un biscuit sans brisures de chocolat.

Peu importe que ton rêve soit de devenir avocat, professeur, secrétaire, maquilleuse, réalisatrice ou écrivaine. Ce qui est important, c’est que tu y crois et que t’arrêtes jamais jusqu’à temps que tu y sois parvenu. Que ça prenne 1 mois ou 10 ans. Parce que quand tu vas réussir, tu vas savoir ce que c’est, l’euphorie. Et tu vas être tellement, mais tellement fier de toi.

Un jour, un grand homme a dit à sa fille  ” Peu importe ce que tu veux faire dans la vie, même si tu veux être une balayeuse. Mais soit une grande balayeuse. “

P’pa, m’man, je sais que j’sais pas. Je la vois passer la vie, ma vie. J’ai 23 ans, j’ai encore des rêves grands comme ça et je pleure encore beaucoup trop quand Quasimodo se fait lancer des tomates sur la Place publique lors de la fête des Fous. Je comprends pas encore l’humanité. Je cherche des questions au lieu de trouver des réponses. J’ai tout à apprendre. J’suis pas mal loin d’où vous étiez quand vous aviez mon âge. J’sais pas où je vais être l’an prochain, ni même demain. Je le saurai peut-être jamais, qui sait. Mais ce que je sais, c’est que si je dois être une balayeuse, je vais tout faire pour en être une grande, moi aussi.