Embaumer ses souvenirs

Parfois, t’as juste pas le choix. Ce qui est bien, c’est que tu n’as pas besoin de t’infliger la technique en thanatologie qui dure trois ans. Quoi que, oui. Ça peut être long comme ça. Prendre son souvenir et le déposséder, le vider, le disséquer, pour qu’il n’en reste que l’enveloppe, c’est loin d’être évident. Faire sortir tout ce qui le compose, tout ce qui est en-dedans, ça demande de l’expertise. Et là, je ne parle même pas de l’enterrement. Du moment où tu donnes ton premier coup de pelle pour creuser le trou qui l’enfouira à jamais.

À l’image des organes qui composent le corps et qu’on retire au moment du dernier salut, ce sont les émotions que tu vas devoir déloger du souvenir que ta mémoire a créé. Parce que ça te fait mal pour rien. Parce que c’est comme si on laissait un cœur dans un corps mort en espérant qu’il se remette à battre. Et ça bien, ça n’arrive jamais. Tenter de faire revivre une histoire au travers un souvenir passé, ça ne fonctionnera jamais non plus.

Je sais, c’est triste. Mais as-tu déjà vu des gens heureux dans des funérailles? Moi non plus. Ça fait partie de la vie. C’est un moment à passer, mais surtout, à accepter. Laisse les couler tes larmes.

T’as le droit de te demander pourquoi. Tu ne l’as jamais venu venir. Le 18 roues est juste passé au mauvais moment et a tout emporté avec lui. Il ne reste plus rien. Parce que oui, la perte d’un amour, c’est comme un deuil. Le deuil d’une personne encore en vie. Un deuil doublé d’espoir. Ça fait tellement mal.

La mémoire est insidieuse, tu sais. Elle a cette capacité extraordinairement sale à ne se rappeler que des bons moments. Mais ce n’était pas que des bons moments. C’est comme vivre dans le déni en disant J’comprends pas qu’il soit mort. Pourtant, il était en santé. alors que l’autre était aux prises avec un cancer généralisé depuis des années. Un cancer qui l’a grugé, car y’a pas voulu prendre la médication qui lui était prescrite. Il voulait voir jusqu’où il tufferait. Pis y’est mort. C’est un peu la même chose. La vérité, c’est que ça allait pu si bien depuis quelques temps. Mais tu voulais voir jusqu’à quel point vous étiez forts. Tu le sais maintenant.

C’était à ce point là.

Un souvenir, c’est un peu comme un défunt qu’on regarde dans son cercueil jusqu’à temps que le couvercle de la boîte se referme. C’est le passé sur qui on pleure en lui apportant des fleurs très souvent, question de l’embellir encore plus. Au début, tu vas aller en porter de nouvelles à chaque semaine. Puis, les semaines vont devenir des deux semaines, pour devenir des mois puis viendra le moment où tu ne visiteras plus jamais ce souvenir là. Je te jure que viendra un moment où tu n’iras plus la voir, sa page Facebook, où tu ne regarderas plus ton cellulaire en espérant voir son nom s’y afficher.

Tu vas être capable de le laisser aller. Tu vas le laisser là où il doit être, en arrière. Incinère-le. Tu vas pouvoir renaître de tes cendres. Comme un Phoenix.

4 réflexions sur “Embaumer ses souvenirs

  1. Wow! tu écris tellement bien…tout ce qu’on peut penser et toute la game d’émotions qui y passent! tu as un don! J’adore te lire…et puis, je me rend compte qu’au fond, on est souvent pareil, nous les humains!

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  2. C’est fou comme on peut lire quelqu’un d’autre et avoir la nette impression de voir défiler devant nos yeux ce qui reste pourtant coincé dans notre tête. Te lire me démmêle, merci.

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  3. Merci. … en cette période plutôt noire de ma vie… ces textes me permettent de mettre des mots sur ces sentiments. .. de voir qu’il y a une façon de décrire ce que je ressens. .. ils me font du bien !!

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