La parabole de l’intelligence et de la nudité

Crédit photo : Spapax

Crédit photo : Spapax

Par définition, les deux extrémités d’une parabole ne se touchent jamais ; ne se rencontrent jamais. Par définition, les femmes qui se dévêtissent – industrie pornographique, danseuse nue, revue érotique, nu, nu érotique – sont dépourvues de la faculté de penser et sont par le fait même, dépourvues de tout respect pour leur personne (sic). Ce sont de pauvres brebis égarées s’étant fait coincer dans le mur du fond par l’hypersexualisation ou présentant très certainement des «daddy issues». On fait fi de leurs motivations, de leur possible démarche artistique, de l’humaine qui se trouve derrière. On ne veut pas les écouter non plus. Heille! si tu montres tes seins, ferme ta bouche. Tu n’as plus le droit de parler. Tu n’as pas le droit d’expliquer, même si tu ne devrais pas te justifier. Tu n’as plus non plus le droit de revendiquer.

Lorsque tu enlèves tes vêtements, que ce soit en couleur, en noir et blanc, en statique ou en mouvement, on te pointe automatiquement du doigt. On dit que tu es une fille facile (alors que c’est l’insulte qui l’est, facile) et/ou que tu es une fille en manque d’attention (alors qu’on te donne exactement ce qu’on te reproche -supposément- de demander). On va même te sortir des théories à deux cennes du genre «Père manquant, fille manquée». On va prétendre savoir, plus que toi, pourquoi tu le fais. On ne te l’a peut-être pas dit, mais Lucky Charms distribuait des doctorats en psychologie dans ses boîtes de céréales la semaine dernière.

Si tu as fait ça avant, dans un passé ne faisant plus partie du présent, on va se faire un plaisir de te le ramener au visage comme un boomerang fatiguant revenant toujours sans que tu ne saches trop pourquoi. On va essayer de te faire sentir mal et de t’humilier. On va te dire que tu n’avais qu’à y penser, que les bonnes personnes – intelligentes et ayant du jugement – ne font pas ce genre de choses. On va même remettre en question ta capacité de réflexion. Maintenant, vis avec!

Si tu fais des autoportraits érotiques pour ton amoureux ou ton amoureuse et qu’une personne malintentionnée pirate ton cellulaire ou ton compte Sound Cloud, tu n’es pas mieux! Toi aussi, tu l’as cherché. On ne pointera surtout pas du doigt le méchant pirate ; ce sera toi la fautive. On essaiera alors de te faire sentir sale d’avoir osé prendre ton corps en photo pour aguicher ton copain ou ta copine à distance. Tu n’avais qu’à attendre qu’il ou elle revienne de travailler. Ce n’est pas difficile à comprendre, il me semble. Encore une fois, ce sera ton problème, dû à ton manque de jugement. On l’a vu il n’y a pas longtemps avec Jennifer Lawrence. Quelle traînée!

On va même se mettre en bande pour te démolir, nous qui sommes contre l’intimidation à l’année longue. Nous allons même identifier nos ami.e.s sous tes photos pour qu’un max de gens puissent te dénigrer. On pourrait faire le choix de ne pas aller sur ta page, mais c’est plus fort que nous. Tu nous déranges trop. Tu es la cible rêvée : l’approbation découlant de la haine collective à ton égard justifie et demande qu’on te frappe dessus. On va même te demander si tu as honte, alors que c’est peut-être de notre agressivité que nous devrions avoir honte. 

On pourrait peut-être se dire que chaque personne est libre de faire ce qu’elle veut avec son corps ; qu’elle est libre, dans toute son entièreté, de l’exposer comme bon lui semble, sans être soumise à nos jugements valant le même prix que les bonbons à 0,01$ au dépanneur du coin. On pourrait, mais on ne le fait pas. Et je ne sais pas pourquoi. Ce serait pourtant si simple, comprendre que les principes de l’une et l’un ne sont pas les principes de l’une et l’autre ; et que ce n’est pas grave.

Ce serait pourtant si simple, passer son chemin. C’est drôle, mais lorsqu’une chose me déplaît, je ne m’arrête pas ; je poursuis ma route. De plus, je trouve qu’il y a quelque chose de foutrement débile à associer intelligence et respect de soi à ce genre d’actions. Si une femme a envie d’agir en un sens comme en plusieurs, ne se respecte-elle pas davantage en agissant comme bon lui semble?

Aujourd’hui, un blogue-guenilles a associé mes idées avec une ancienne image d’une certaine version de moi. Une image d’une revue pour laquelle j’ai posé il y a quelques années. «Pour replacer les gens», qu’on m’a dit. Me présenter comme étant la «Fille de» n’a pas semblé suffisant à ces pauvres énergumènes en manque de clics ; me réduire à ça, ce qui est déjà avilissant en soi, ne fut pas assez, apparemment. L’ironie de la chose est que j’ai pondu ce texte (la (non) corrélation entre l’intelligence et la nudité) plus tôt ce matin, sans savoir que quelques médias se foutaient assez des 149 morts au Kenya pour m’accorder un billet non signé sur leur prestigieuse plateforme. Mais je ne suis pas la seule, hen. On a aussi jugé bon de parler des «bourrelets» de Britney Spears.

Aujourd’hui, on m’a montré une fois de plus qu’on se donnait le droit de souiller (ou du moins, d’essayer de souiller) les idées d’une personne en juxtaposant, sans trop de succès, ces dernières à une image afin de la discréditer. Les femmes ne sont pas des paraboles. Elles sont constituées d’un ensemble de variables, tant dépendantes qu’indépendantes, se croisant au sommet de leur être. Au lieu de crier haut et fort nos préjugés, on devrait peut-être faire l’effort d’essayer de comprendre pourquoi ça nous dérange tant qu’une femme fasse ceci ou cela, et surtout, en quoi cela mine sa capacité à réfléchir, à avoir des opinions et à les défendre.

6 réflexions sur “La parabole de l’intelligence et de la nudité

  1. Pourquoi tout ce texte ? A cause de la photo et du commentaire de la clique ? Moi personnellement j ai vu la photo du summum et ca allait de soi que tu étais une femme intelligente et articulée. Si tu t indignes ainsi c est que ce genre de commentaires t affectent. En tant que femme, on devrait s assumer pleinement et ne pas sourciller quand ce genre de propos sont tenus. Oui jai fait le summum et oui j ai un cerveau. La clique a mis cette photo pour qu on te replace..moi ca m a permis de te replacer parce que autrement je savais pas qui tu étais. La photo du summum est mémorable. Maintenant je vais te reconnaître pour celle qui est multitâche hihi Et de 2, manif etudiante..on est loin du summum…ben oui. Je pense pas que ton travail artistique dans le summum a la même portée que ton travail par rapport à la grève étudiante. On est pas dans le même sujet. Tu portais pas une cause en faisant le summum ou t en portais une mais c etait clairement pas la même. En gros ce que je veux dire c est : en réagissant ainsi on montre aux hommes qu on ne s assume paspleinement. Tu es une femme magnifique qui a fait des photos dans le summun et une femme intelligente qui se bat pour ses idéaux. T as pas à le défendre. Tu n as qu à l’être un point c est tout. J

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    • Je comprends qu’on puisse faire un tel raisonnement, mais il n’est pas tout à fait juste. J’assume pleinement le fait d’avoir posé pour cette revue, sinon je ne l’aurais jamais fait au départ. Je trouvais simplement bon de dénoncer qu’encore une fois, on essaie d’utiliser une image démontrant un propos quelconque, pour en ridiculiser un autre. Pourquoi avoir pris cette photo? Pourquoi avoir pris l’image la plus «sexy» de la séance photo? Pourquoi avoir pris une image datant de 3-4 ans et n’étant donc plus du tout actuelle? Pour discréditer, tout simplement. Cela n’est que le reflet d’une société encore trop patriarcale dans laquelle on use du «slut shaming» pour entacher les idées d’une femme. Parce qu’on s’entend qu’il n’y a aucun, mais alors là, aucun, lien entre les deux. Pour ce qui est du reste du texte, comme tu as pu le lire, je l’avais déjà écrit avant que la situation n’arrive :).

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  2. Beau travail, j’admire non seulement ton style d’écriture, mais aussi ta façon si personnalisée de nous partager ton opinion. Lors de ma lecture, ta référence à Sound Cloud m’a laissée un peu incertaine quant au lien qu’a ce site avec la possibilité de piratage de photos… Peut-être souhaitais-tu faire référence à iCloud plutôt…? Quoi qu’il en soit, merci de nous partager si régulièrement ton talent avec les mots.

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  3. J’ai beaucoup aimé ce texte et, tout comme toi, je pose nu pour des écoles d’arts, des artistes et même des magazines d’arts. Il m’est arrivé une seule fois où l’on a osé me traité de fou. Fou? Moi? Oui, c’est vrai. Je suis fou de mon travail, de cette passion qui, avec bien d’autres, font la beauté de ma vie.
    Moi aussi, j’assume pleinement ce que j’ai fait et ce que je fais et ce que je ferai. Pourquoi donc? Parce que j’ai l’intelligence de faire ce qu’il me plait tout en dépassant mes propres limites dans la nudité artistique. Une nudité qui mérite grand respect que l’on soit un homme ou bien une … femme.
    RollandJr St-Gelais

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  4. A reblogué ceci sur Modele Vivant a Quebecet a ajouté :
    J’ai beaucoup aimé ce texte et, tout comme cette dame, je pose nu pour des écoles d’arts, des artistes et même des magazines d’arts. Il m’est arrivé une seule fois où l’on a osé me traité de fou. Fou? Moi? Oui, c’est vrai. Je suis fou de mon travail, de cette passion qui, avec bien d’autres, font la beauté de ma vie.
    Moi aussi, j’assume pleinement ce que j’ai fait et ce que je fais et ce que je ferai. Pourquoi donc? Parce que j’ai l’intelligence de faire ce qu’il me plait tout en dépassant mes propres limites dans la nudité artistique. Une nudité qui mérite grand respect que l’on soit un homme ou bien une … femme.
    RollandJr St-Gelais
    Québec (Québec)
    Canada

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