Le soir où j’ai désactivé Facebook

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Ça va faire deux semaines que j’ai désactivé Facebook. J’étais au travail. J’avais déjà perdu beaucoup trop de temps à rafraîchir mon fil d’actualité sans que quoi que ce soit ne se passe. Il était à peine 19h00 et je n’avais déjà presque plus de piles. Pourtant, il était plein quelques heures avant. Spontanément, je me suis rendue dans mes paramètres et j’ai cliqué sur «Désactiver».

Ça faisait des mois que j’y pensais, des semaines que j’en parlais, sans jamais passer à l’acte. Peut-être par peur de me retrouver seule avec moi-même. Peut-être par crainte de réaliser que malgré mes 2000 abonnés, je n’avais pas vraiment d’amis. Peut-être par peur de m’ennuyer. Mais m’ennuyer de quoi, au fond? De l’attention reçue? Des likes? Sûrement un peu. À partir de ce soir-là, je n’ai plus eu 200 personnes pour m’approuver, pour me dire que je faisais la bonne affaire. Pour me dire que j’écrivais bien. Que j’étais cute. Pour me dire que j’étais quelqu’un. Non. Depuis deux semaines, je dois apprendre à me suffire. Je dois apprendre à être ma principale source de motivation et d’encouragement. Et franchement, c’est assez cool.

Je n’ouvre plus Facebook avant La Presse ou Le Devoir lorsque je me réveille le matin et les yeux de mon copain sont la dernière chose que je vois en me couchant. Je lis davantage, j’écris davantage. Nous avons recommencé à regarder des films le soir et des séries sans avoir le réflexe d’aller sur Facebook vingt fois. Nous avons recommencé à nous regarder pour vrai. C’est con, mais nous étions toujours sur nos cellulaires lorsqu’un des deux faisait le souper. Maintenant, on prend le temps de se parler quand on arrive de travailler. On prend vraiment le temps. Notre attention n’est plus divisée entre les drama qui se déroulent sur Facebook, entre les messages auxquels on doit répondre et… l’autre. Je ne peux compter les fois où je lui ai répondu «Ce sera pas long, là, je dois répondre à quelque chose sur Facebook» ou encore «As-tu vu passer ça Facebook?». Je ne peux compter les fois où on a parlé des autres au lieu de parler de nous.

Je ne peux compter les heures perdues en stalkage de gens qui m’énervaient et qui, parfois, n’étaient même pas dans ma liste d’amis. C’est fou de donner ce pouvoir-là, celui du temps perdu, à des gens qu’on n’aime pas. Parce que s’ils ne savent pas qu’on les espionne, nous on le sait. J’allais régulièrement faire un tour sur le profil de l’un et de l’une pour avoir ma dose de yeux en l’air, pour avoir ma dose de soupirs. En ce moment, je ne me souviens pas de la majorité de ces noms. C’est pour dire à quel point ils n’étaient pas importants et pourtant, Dieu sait que je leur en ai accordé, du temps.

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Crédit : Meme Blender

Nous pouvons voir le message suivant lorsque nous nous connectons à Facebook : «Facebook vous permet de rester en contact avec les gens qui comptent dans votre vie.» alors que ce devrait plutôt être «Facebook vous permet de rester en contact avec les gens qui vous nuisent.» On s’entend que les gens qui sont réellement sur Facebook pour parler à leur grande-tante qui vit en Australie sont aussi rares que de la pisse d’évêque, comme dirait Marie Calumet.

Je ne peux pas plus compter les fois où j’ai dit, dans ma tête et à voix haute, «Coup donc! Il se passe rien sur Facebook aujourd’hui!», alors qu’au lieu de dire ça, j’aurais pu m’arranger pour qu’il se passe quelque chose dans ma vie; dans la vraie vie. Alors qu’au lieu de cliquer sur «Actualiser», j’aurais pu aller marcher. J’aurais pu aller m’entraîner. J’aurais pu écrire une lettre. J’aurais pu acheter des fleurs. J’aurais pu appeler ma mère. J’aurais pu étudier un peu plus. J’aurais pu aller au musée. J’aurais pu faire tout ce que je n’avais supposément jamais le temps de faire.

J’ai même l’impression d’avoir recommencé à savourer pleinement mes activités quotidiennes. Aller au restaurant sans prendre une photo du plat. Aller à la crèmerie avec mon amoureux et le regarder, en prenant le temps d’écouter la pluie tomber. Aller voir un spectacle et ne pas perdre de vue le moment, ne serait-ce que deux minutes. Ne plus être sur le qui-vive quant à savoir si telle sortie fera une publication Facebook intéressante. Non. Juste la vivre, l’activité. Laisser mon cellulaire dans mon sac ou mieux, à la maison. Pouvoir passer trois jours sans avoir besoin de le charger. Ne plus dépasser mon forfait de données.

Lorsque j’ai désactivé mon compte, j’ai reçu plusieurs textos. «Est-ce que ça va bien, Virginie?», «Vis-tu quelque chose de grave?», comme si désactiver son compte signifiait automatiquement que tu vivais quelque chose de très difficile. Comme si ça ne se pouvait pas. Lorsque j’ai répondu à tout ce beau monde que ma vie pourrait difficilement mieux aller, ils m’ont tous répondu quelque chose comme «Ah, d’accord. Écoute, je te comprends tellement! Moi aussi j’aimerais tellement ça supprimer mon compte». Pourtant, ils ne le suppriment pas. On ne sait jamais trop pourquoi on reste, quand on y pense. La peur de manquer quelque chose, j’imagine. La peur de ne plus se faire dire qu’on est brillant et que notre opinion vaut quelque chose. La peur de voir notre égo rapetisser. Tsé, on a tellement l’impression d’être important sur Facebook.

Je n’aurai pas la prétention de dire que je ne reviendrai pas sur Facebook. Mais en ce moment, ça fait tellement de bien. Depuis deux semaines, mes amis m’appellent ou m’envoient un texto s’ils veulent me rejoindre. Je parle plus à ma famille (ça nous force à prendre de vraies nouvelles). J’ai plus de temps. J’ai l’impression d’être de retour en 1990. C’est quand on scrute notre vie au lieu de celle des autres qu’on réalise à quel point tout reste à faire. Et honnêtement, c’est bien assez comme ça.