14 ans

Il est 16h00. La chaleur tiède annonce l’automne qui approche. Je me dirige vers le métro. Devant moi, quatre jeunes filles. À leur allure, elles viennent de terminer l’école. Elles ont quatorze ans, maximum quinze. Leur sujet de conversation principal? Les garçons, évidemment. Elles prononcent le mot « genre » aux deux secondes, ce qui devrait m’arracher des soupirs d’exaspération. Pourtant, ce n’est pas le cas. Probablement car ce moment n’est pas un moment ordinaire. En ce moment, je suis dix ans en arrière, sur la rue d’Aragon. En ce moment, c’est moi qui a 14 ans et qui revient de l’école avec mes amis.

14 ans et les party de sous-sol chez Annie-Claude. Assis en rond, dans la cave, des Poppers  bleus qu’on buvait en trop grande quantité. L’alcool cheap qu’on avait réussi à avoir car un de nos amis connaissaient le caissier du dep’ vert au coin de la rue. Le temps où on mentait à nos parents, prétextant des sleepover sans garçons, bien entendu. La bande qui se déplaçait parfois au salon où il y avait toujours un smath pour mettre une reprise de Bleu Nuit. Des rires gênés, des rires qui trouvaient ça dégeux, des rires et des yeux au plafond qui voulaient dire « T’es cave ». Des partys, il y en avait eu jusqu’au matin où Annie-Claude avait trouvé son père raide mort sur le plancher de sa chambre par un matin d’hiver. Elle n’est pas venue à l’école cette semaine là. Y’a plus jamais eu de party ensuite.

14 ans et les baignades précoces quand l’eau de la piscine était à 68. Quand c’était clairement plus le printemps que l’été, mais qu’on s’en fichait. 14 ans et les rides en skate ou en BMX jusqu’à tard. Les genoux écorchés, la gueule en sang, mais ça non plus c’tait pas grave. Cet âge là et le Blink 182 trop fort dans notre lecteur CD, les cotons ouatés Blind, les souliers Osiris. Le skateshop qui vendait toujours tout trop cher (et qui vend encore tout trop cher). Oui mais m’man, je les veux VRAIMENT ces souliers de skate là. Sttttttttp…

14 ans et la couette que je me faisais à la hâte le matin, 14 ans et les pantalons bleu à carreaux que je mettais tout le temps, surtout en compagnie de ma mère, qui les trouvait tellement, mais tellement laids. Je me rappelle que je faisais exprès de les mettre lorsqu’elle m’amenait à la Place Rosemère pour m’acheter du vrai linge de fille.

C’était l’époque où on pouvait passer une journée entière derrière notre écran d’ordinateur à espérer que ««!! GuiiLl@uM£ !! Ki veut fairrrrre de koi à soir!? (B) > » se connecte sur MSN. C’était avoir la patate qui manquait d’exploser chaque fois que le bruit si caractéristique se faisait entendre. Et c’était surtout le moment où même si ça faisait 100 siècles qu’on espérait que ««!! GuiiLl@uM£ !! Ki veut fairrrrre de koi à soir!? (B) > » se connecte, on ne faisait strictement rien lorsqu’il était enfin en ligne. On attendait (encore).

C’était aussi l’époque où tu pouvais actualiser ta page Hotmail (à laquelle était souvent associée une adresse douteuse) 50 fois pour voir si ce fameux ««!! GuiiLl@uM£ !! Ki veut fairrrrre de koi à soir!? (B) > » t’avais envoyé un courriel. J’ai l’impression qu’on avait la patience plus facile dans ce temps-là. Dieu sait que ça pouvait prendre des heures. Mais au lieu d’être frustré, on était excité. On avait le refresh léger et le cœur aussi. Quand l’autre ne nous répondait pas, on faisait autre chose. T’sais, ce qu’on ne fait plus dans la vingtaine. Parce qu’aujourd’hui, c’est sûr que si la personne au bout du cellulaire ne répond pas dans la minute, c’est qu’elle est en train de se faire baiser par quelqu’un d’autre. Logique de même.

14 ans et correspondre par la poste avec Chloé de Brossard qui aimait les chiens, le magasinage et Gilmore Girls. Chloé, qui avait publié une annonce dans Cool ou Filles d’aujourd’hui. C’était être déçue par le cossin cheap qui venait avec la revue chaque mois et étouffer son mur avec des affiches de J-Lo ou de Christina Aguilera. C’était attendre le numéro « spécial tests » toute l’année.

14 ans et demi et la couette qui se transformait en cheveux qu’on prenait le temps d’aplatir, une fois de temps en temps. L’âge où il nous arrivait maintenant de troquer nos cotons ouatés de gars trop grands pour un chandail plus ajusté, où on troquait nos paires de pantalons à carreaux pour une jupe en jeans, avec des leggins en dessous. L’âge où t’avais lu un paquet de récits désastreux sur le premier french. Où tu te pratiquais sur ta main, où tu pensais que tu frenchrais jamais, en fait. Parce que t’sais.

14 ans et la première fois que tu te mettais du fond de teint cheap parce qu’on avait réussi à te faire croire que ça te prenait ça pour être belle. 14 ans et tes premiers questionnements sur la sexualité. L’âge où tu te demandais si t’étais normale, car contrairement à tes amies, t’avais pas encore tes règles. L’âge oh! combien naïf où t’avais dont hâte de les avoir, tes règles. C’est probablement la seule fois où t’auras eu hâte, lol. 14 ans et l’intérieur qui te chatouillait lorsque tu te rendais à ton cours de chimie. Quand ta paire d’yeux cherchait la sienne durant tout le cours. Quand tu apprécierais ses taquineries plus que n’importe quel compliment.

C’était aussi l’âge du courage. Celle où t’étais capable de regarder un gars dans les yeux en lui disant « Je suis désolée, mais je ne t’aime pas de cette façon là … » même s’il pleurait, même si tu ne voulais pas lui faire de peine. Tu savais que c’était la bonne chose à faire. Il n’y avait pas de game.

14 ans avant. 23 ans aujourd’hui. Étrangement, je me rends compte que plus ça change, plus c’est pareil. Je m’habille encore en gars, j’ai encore des papillons dans le ventre quand mes yeux cherchent les siens, je me fais encore souvent une vieille couette sul’top de la tête parce que j’ai autre chose à faire que m’aplatir le toupet, j’aime encore faire des tests dans des revues, mon fond de teint cheap s’est transformé en fond de teint à 60$ parce qu’on réussit encore à me faire croire que ça me rend plus belle pis je me pète encore la gueule solidement en vélo à chaque année.

On grandit, mais on ne vieillit pas.

2 réflexions sur “14 ans

  1. Les deux ptites couettes au milieu du front accompagnées d’une belle ligne de crayon blanc sur les paupières, pis ça c’était quand je spreadais pas mon coup de ptites glée brillantes douteuses. Back in the days, j’me rappel également des ceintures en tissus avec la genre de clip en dents de la marque Logik avec mes pantalons légèrement trop  » pattes d’éléphant ». Ou de mon bon vieux aki.
    Ces souvenirs qui ont comme un odeur de parfum Adidas dans la bouteille blanche transparente avec le bouchon bleu, ou du Tommy girl.
    Rappel-toi Red, les rouleaux aux fruits over trop chimiques. Les jus au jello ou les satanés Kangouroo ! Du ferbys caché dans le fond du garde robe ou de la frustration lorsque bien installée sur ton divan, tu te rendais compte que la foutu cassette de ton VHS était pas rembobinée…
    🙂
    C’est fou à quel point ce qui est personnel est universel 🙂

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