Suis-je digne d’être mère?

Crédit photo : Virginie Chaloux

Je me suis souvent posé cette question en entendant des histoires dans lesquelles les mères avaient dû travailler fort pour le devenir. Des mamans qui avaient été malades, des mamans qui s’étaient battues, des mamans et des couples qui avaient dû passer par une panoplie de tests, des parents qui avaient dû attendre. Des gens à qui on avait dit : «Désolé, mais ce ne sera pas facile. Désolé, mais ce ne sera pas possible.» Des humains qui avaient passé des années en clinique de fertilité avant de se faire dire «Oui». Des gens qui avaient tellement voulu.

Nous n’avions pas «tellement voulu». Les deux lignes roses sur le test de grossesse avaient plus fait l’effet d’un «Ah, ok». Rien d’excitant, rien d’émouvant. Je me souviens comme si c’était hier du moment où, assise sur le bord du bain, j’avais appris que la vie était en train de se développer à coups de milliards de cellules au creux de mon ventre. Il n’y avait pas eu de confettis, pas de ballons, pas de cris de joie. Le calme plat. Un calme quasi stérile généré par un flot d’émotions trop contradictoires pour que ce soit réel.

«Ainsi c’est maintenant» est la seule chose que mon cerveau répétait en boucle. Pas de larmes. Pas de sourires. Juste des «Ainsi c’est maintenant». On nous prépare tellement à cet événement toute notre vie qu’il est ridicule de voir à quel point nous ne sommes jamais préparés, au fond. Je me sentais mal, tellement mal. J’aurais aimé ressentir l’amour inconditionnel tout de suite. Le fameux lien indestructible. Ça y était, je serais une mauvaise mère.

Ensuite, j’ai eu peur. Le hic, c’est que je n’ai pas eu peur pour des raisons nobles. Je n’ai pas eu peur de ne pas être capable — je savais que je serais capable. Je n’ai pas douté de mes capacités. Je n’ai pas eu peur pour mon avenir. J’ai eu peur pour des conneries. «Vais-je devenir exécrable? Va-t-on faire l’amour aussi souvent? Et si je prenais trop de poids? Et si je ne pouvais plus m’entraîner? Et si je devenais étrangère à moi-même? Et si je me trouvais laide?»

Encore une fois, je me demandais si j’étais digne de porter le titre de maman. J’avais l’impression que toutes les mères autour de moi embrassaient les changements imposés à leur corps avec sérénité, joie et bonheur. Que s’il y avait des problèmes, ils n’étaient jamais graves, car la finalité de la chose était immense : donner la vie. Je n’étais même pas enceinte de trois mois que je préparais déjà mon post accouchement et ce, même si j’aimais être enceinte.

Je me suis à nouveau demandé si j’étais digne d’être maman lorsque j’ai réalisé que mon enfant n’occupait pas toutes mes pensées. Lorsque j’ai réalisé que l’amoureux et moi n’en parlions pas tous les jours. Que nous avions encore des projets et que ces projets nous semblaient aussi grands que notre fils. Parce que si fabriquer un humain nous avait toujours semblé spécial et très grand, nous n’avions jamais eu l’impression que c’était «LA» chose la plus formidable au monde. Cet être viendrait se greffer à nous pour toujours et nous grandirions ensemble. Mais nous voulions aussi faire ceci et cela, indépendamment de notre fils. Nous souhaitions nous développer individuellement. Serions-nous de mauvais parents à cause de ça?

Lorsque j’ai dit aux gens que je poursuivais mes cours à l’université cet automne ET cet hiver, on m’a regardée comme «ça». Parce que non, je n’aurais pas de congé de maternité. J’aurais trois semaines à temps plein avec mon loup tout au plus. J’en ai entendu, des «Ben là». Comme si quitter son nid douze heures par semaine pour aller étudier était un crime. Comme si le père serait forcément inadéquat dans son rôle de père durant ces douze heures-là. Comme si le bébé n’avait besoin que de sa mère, 24|7. Je ne peux compter le nombre de fois où j’ai dû justifier mon droit d’étudier. Dans les mots des gens, j’avais quasiment l’impression que le laisser avec son père équivaudrait à le laisser coin Ontario et Moreau avec le pimp du coin. #mereingrate

Pourtant, j’étais entrée à la garderie à l’âge de six mois. Dans le temps, mon père vivait à Québec et ma mère à Montréal. Elle y restait pour le travail et revenait la fin de semaine pour nous voir. Je n’ai jamais manqué de rien. 

Nous avons eu droit au mêmes commentaires lorsque nous avons dit aux gens que nous ferions garder Fils par ma mère un weekend par mois pour prendre du temps pour nous (merci maman). «Ish. Faire garder un enfant en bas de six mois? Ish.» On se demandait quasiment si on était arriéré de vouloir passer du temps ensemble, juste nous deux. Encore une fois se posait la même question : étions-nous dignes d’être parents?

Puis, j’ai réalisé des choses. J’ai réalisé qu’on nous vendait l’idée d’être parent. Qu’on nous bombardait de clichés dans lesquels les nuages se transformaient en barbe à papa lorsqu’on apprenait qu’on allait être parent. Que c’était «OMG» la plus belle chose du monde, sans contredit. Que tout prenait le bord. Que le couple devenait une famille, exclusivement. Que la femme et l’homme devenaient des parents, exclusivement. Qu’on réalisait alors qu’on n’avait rien connu, avant. Que fabriquer de l’humain devait être la plus grande réalisation de toute une vie.

Et cette idée-là, celle qu’on essaie de nous vendre, je ne l’ai pas achetée. Nous ne l’avons pas achetée.

Pas parce qu’on en n’avait pas envie, juste parce qu’on avait envie d’acheter une idée qui nous correspondait mieux. J’ai aussi réalisé que la plupart de mes peurs connes ne s’étaient pas réalisées. J’étais encore moi-même. Je m’entraînais encore. J’étais encore de bonne humeur. Ma vie sexuelle allait encore très bien. J’étais encore bien dans ma peau. Je pouvais encore me coucher tard, parler avec mon amoureux jusqu’à 4:00 du matin, aller voir un spectacle et aller dans les festivals. Et je trouve ça important de le mentionner, car on s’attend souvent au pire. C’est ce qu’on nous dit, c’est ce qu’on nous vend là aussi. Mais une grossesse ne rime pas toujours avec neuf mois d’enfer. Ça peut bien aller. Ça peut super bien aller. Ayons confiance.

(Je tiens à préciser que je fais tout de même de l’anémie, que ma glande thyroïde joue au yoyo, que je fais de l’hypoglycémie, que je me suis déjà évanouie au milieu de mon appartement et me suis ramassée trois fois à l’urgence. Malgré tout ça, ça va super bien, sans farce!)

J’ai réalisé que je serais une très bonne maman, que nous serions de très bons parents. Car déjà, nous attentions son arrivée avec impatience. Déjà, il faisait partie de nos plans. Déjà, nous voulions le protéger. Déjà, nous lui parlions en lui disant «Je t’aime tellement». Et avoir la certitude d’aimer tellement quelqu’un sans l’avoir vu, c’est être digne d’être parent.

4 réflexions sur “Suis-je digne d’être mère?

  1. Merci d’en parler! C’est super important! Et je crois que la partie que j’aime le plus, dans ce texte, c’est celle-ci : « Et cette idée-là, celle qu’on essaie de nous vendre, je ne l’ai pas achetée. Nous ne l’avons pas achetée.

    Pas parce qu’on en n’avait pas envie, juste parce qu’on avait envie d’acheter une idée qui nous correspondait mieux. »

    Dans mon cas, ça m’a pris TELLEMENT de temps me rendre compte que c’était une grosse partie de mon problème, ça, le fait qu’il y a une diversité de façons de vivre sa maternité/parentalité, et que la grande majorité de ces diverses façons de faire sont excellentes; autrement dit, il n’y a pas une seule façon d’être une bonne mère. Ça a l’air niaiseux dit de même, mais c’est crucial de se le rappeler…

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